Un couteau dans le cœur par Cinémascarade Baroque

« Un couteau dans le cœur » est une ode à la jouissance, à la marginalité, au désir et à l’épanouissement de sa vie. Gonzalez tente de retrouver l’insouciance d’une époque qui n’est pas encore rongée par le chômage ou le sida, même si l’atmosphère du film se montre mélancolique et dévoilant les zones sombres de Paris. Tout cela est mis en danger par l’obsession d’une pseudo normalité, la part d’ombre amère et aigrie des êtres dont les vies ont été brisées. Le début, référence direct au « Cruising » de William Friedkin avec les éclairages baroques d’un Dario Argento, est cinglant. Un meurtre au gode couteau qui mêle étroitement eros et thanatos, les pulsions de vie et de mort qui se retrouvent dans le souffle troublé d’une étreinte unique. Le film naviguera sans cesse sur le rapport entre le cinéma et la vie, dans sa connexion. Plus qu’une démarche cinéphile, elle développe le lien entre les personnages.


Gonzalez trouve un équilibre savoureux entre humour franc et tristesse pudique. Au détour de scènes pornographiques décomplexées de tout jugement ou du travail minutieux du montage, des éléments symboliques illustrent l’état d’esprit psychologique des personnages. Un regard, un zoom sur le visage de l’être aimé ou la captation d’un mouvement précis, c’est l’amour fou qui se dévoile. Anne et Loïs s’aiment et se haïssent par le prisme de la caméra, quant au sexe chez les acteurs il est une clef pour l’évasion vers un autre monde. Le film met de côté exprès un certain temps la partie enquête des meurtres pour décrire avec application un monde underground, pourtant bien présent dans notre société.


L’esthétique du film travaille également un décalage bien précis qui nourrit un scénario abracadabrantesque mais jouissif. Le grain de pellicule, les néons et autres ombres des cabarets de nuit accompagnent les troubles des personnages. Les meurtres ont une mise en scène bien spécifiques, virevoltante comme chez De Palma ou d’une violence crue comme chez Argento. Lorsque Anne sort pour découvrir le coupable, il y a cette imagerie cheap, cette luminosité dérisoire et blafarde qui ne nous ramène aucunement à la réalité du quotidien. « Un couteau dans le cœur » semble s’enfoncer un peu plus dans le fantastique, notamment avec cette légende des oiseaux aveugles qui aspirent la mort. Un choix semblant absurde mais continuant à nourrir un imaginaire proche du cinéma fantastique italien (les références aux animaux) et surtout nourrissant une tragédie grandissante.


C’est dans son dernier acte que le film touche de manière vibrante en justifiant chacun de ses parti-pris, même les plus psychédéliques. La découverte de l’identité du tueur et de son passif va trouver un écho intime chez les protagonistes. Le récit, ancré à la base dans le passé, devient terriblement politique et se raccorde finalement à notre époque. Sous ses dehors d’œuvre décalée, excentrique, de coquetterie parisienne, Gonzalez raconte finalement la douleur d’une communauté qui doit payer le prix le plus dur pour pouvoir vivre pleinement son existence. C’est la solitude, la disparition des proches et ce sentiment que la mort peut prendre toutes les formes. Il faut se cacher paradoxalement pour exister. Le cinéma pornographique est du coup un refuge, une maison pour les laisser pour compte. Dans un grand élan lyrique, sexuel et profane qui touche le générique de fin, on se donne à l’autre avec le sourire du désespoir.


« Un couteau dans le cœur » est un bol d’air frais dans le cinéma français et une vraie expérience à savourer. Un film qui met de côté vos jugements, vos attentes, votre vision balisée du cinéma pour mieux justement célébrer celui-ci. Toutes les émotions sont mobilisées au service d’une histoire folle mais d’une grande vitalité. C’est du cinéma populaire d’un autre temps, d’une autre sphère mais qui est prêt à s’ouvrir à un plus grand nombre.

AdrienDoussot
7
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le 19 oct. 2020

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