Hyper impressionné et passionné par ce film, certes imparfait, mais tellement ambitieux, tellement ample, qu’il m’évoque, dans le magma qu’il charrie et pour rester dans l’époque, des films comme Les aventuriers, de Robert Enrico ou La bonne année, de Claude Lelouch. Pas de ressemblance directe entre ces films, sinon peut-être cette caméra qui sans prévenir va s’élever (dans un plan hélicoptère inattendu) dans le final de l’un dévoilant le Fort Boyard perdu au milieu de l’océan, la fuite en voiture de l’autre sur la Croisette cannoise, et bien entendu ici lorsque le camion de résistant esquive celui des allemands au virage d’une route de colline. Ce n’est pas le seul plan qu’on va retenir de ce film, mais il marque indéniablement, puisqu’il demande à faire partie de ce convoi avant de le quitter pour embrasser une vue d’ensemble complètement à contre courant : Idée osée tant on quitte momentanément le suspense accentué par l’espace clos du camion.


 Un homme de trop est un grand film de maquis. Le film s’ouvre sur l’évasion de condamnés à mort résistants par des maquisards et se ferme dans un carnage aussi suffocant que bouleversant entre les chemins escarpés du site du Château d’Alleuze, les gorges de la Truyère et le viaduc de Garabit. Entre ces deux pôles, un long retranchement dans les hauteurs du Cantal et avant cela, une embuscade isolée dans un village dans lequel l’équipée maquisarde emportera son agresseur : un môme de vingt ans, arraché aux larmes de sa mère, qui souffrant le martyr d’une mauvaise balle, dit avoir été enrôlé dans la milice puisqu’on lui a présenté la collaboration comme étant l’avenir du pays, sans aucun autre point de vue. Et tout le film s’intéressera à brouiller les certitudes – Gavras explique que si son film n’a pas marché, c’est en partie pour l’image peu salvatrice qu’il donnait du maquis. Un homme de trop prend clairement le parti du maquis, bien entendu, mais sa représentation est plus dispersée, faite de nombreux désaccords et de multiples engueulades.
Et pour accentuer ce déséquilibre interne, Gavras choisit d’y injecter un grain de sable supplémentaire, un homme qu’on a libéré parmi les prisonniers mais qui ne devait pas faire partie du convoi, cet attendu homme de trop, ce prisonnier de droit commun aux bottes allemandes. Le groupe se retrouve donc avec treize prisonniers et non douze. Ce n’est pas grand-chose pour certain (Bruno Cremer, chef de maquis, garde son sang-froid) mais terriblement révélateur pour d’autres, comme Jean-Claude Brialy, qui l’aurait déjà exécuté depuis belle-lurette si ça ne tenait qu’à lui. Ce personnage, ce treizième homme, qui attise troubles et doutes (est-il un traitre, une taupe ?) est qui plus est affublé d’une vision qui ne se marie pas bien avec sa situation : Il dit ne se situer dans aucun camp, mais ne revendique rien de plus, il reste un personnage opaque, qui ère dans le paysage : Il faut la nonchalance d’un Michel Piccoli absolument génial, pour camper ce curieux personnage.
SPOILER ON : Parmi d’autres scènes importantes, il y a celle de l’agonie du résistant blessé (Michel Creton, magnifique) lors de l’embuscade. Cremer le rejoint dans le grenier et l’accompagne jusqu’au bout et ses dernières paroles, dévorées par son intense souffrance, sont obstruées par le craquement de l’arbre que d’autres maquisards sont en train d’abattre dehors : Sa respiration qui semble se caler sur les coups de haches, puis le visage trempé de sueurs de Cremer le voyant s’en aller au son de la chute de l’arbre. Superbe. Dans la foulée de cet instant de calme et de mort, c’est la colère d’un maquisard (Jacques Perrin) qui s’abat froidement (et en caméra subjective) sur le jeune milicien, qui lui tire dessus à plusieurs reprises avant que Brialy ne se charge d’abréger ses souffrances. Sans parler de cette fin (qui évoque La horde sauvage) à rallonge où les maquisards sont encerclés par les allemands et résistent comme ils peuvent sous les bombes à l’image de Jacques Perrin qui tente en vain (les fils sont sectionnés un peu partout) de faire péter sa bombe. SPOILER OFF
Un homme de trop m’a beaucoup fait penser à La 317e section de Pierre Schoendoerffer, et pas seulement parce qu’on y voit aussi Perrin et Cremer en camarades rebelles : Ce sont deux films qui filment singulièrement l’espace et le groupe dans cet espace, deux façons de faire assez proches. Et ce sont deux films de repli, qui rarement filmeront l’ennemi, préférant lui garder cette forme abstraite, imposante, ce monstre caché derrière les arbres et la boue ici, derrière les collines et les chemins de pierres là. On ressent l’air du Cantal comme on ressentait celui du Laos. Et les acteurs sont extraordinaires. Certes, Gavras leur donne un peu trop de lignes (mais c’est aussi pour accentuer le dispersement : Chacun parle en même temps que tout le monde) mais ils sont tous investi, on ne voit que des maquisards et à l’instar de son précédent film, quel casting monumental, 7 sur l’échelle de La ligne rouge, je pense. Bref, ce n’est que le deuxième film de Costa-Gavras (Après l’étrange objet que formait Compartiment tueurs) et c’est déjà une merveille.
JanosValuska
8
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le 12 mars 2019

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JanosValuska

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