Hong Sang-soo fait toujours le même film. Voilà l’argument qui revient le plus souvent dans la bouche des détracteurs du dorénavant reconnu cinéaste coréen. Pas sûr alors que Un jour avec, un jour sans soit porté dans leur cœur, puisque le réalisateur a décidé de prendre le reproche au pied de la lettre. Son dernier film en date est en effet scindé en deux « sous-films » d’une heure chacun, qui se ressemblent beaucoup mais affichent de nettes différences. Et ce serait passer à côté d’un film majeur de HSS que de louper cette radicale exploration des lois fragiles qui régissent les relations humaines.


Le film raconte alors deux fois la même histoire, à ceci près que plusieurs détails viendront altérer le cours des choses pour en arriver à deux conclusions bien distinctes : celle d’un jour « avec », et celle d’un jour « sans ». On retrouve de nouveau un personnage de réalisateur, joué ici par J**ung Jae-Young** que l’on avait déjà aperçu dans le très bon Sunhi, qui est amené à errer dans la ville comme dans la vie. Lors d’une visite dans un vieux palais, il croise la route d’une jeune femme du nom de Yoon Hee-jung qui va lui plaire instantanément. Ils décident de passer le reste de la journée ensemble. Elle lui montrera ses travaux en peinture, puis ils mangeront des sushis dans un restaurant en s’enivrant de soju (<3), avant de terminer chez des amis de Hee-jung où les langues vont se délier.


Il n’est question que de constantes et de variables. Chez HSS, il y a toujours des rencontres, il y a toujours du doute, il y a toujours du soju (<3). Mais pourtant les histoires ne sont pas les mêmes, elles racontent chacune autre chose que la précédente. Cet exercice de style prend une ampleur remarquable ici, car le spectateur est confronté immédiatement à ce jeu de nuances des destins lorsque le film recommence. Un choix déstabilisant en premier lieu, jusqu’à ce que les variables se révèlent. Dans la forme d’abord : ce plan là est différent de celui qui le précédait une heure plus tôt, les fameux zooms de HSS ne se manifestent pas aux mêmes moments, se focalisent sur d’autres visages. Puis progressivement, dans le fond, quelque chose se passe, les personnages empruntent de nouvelles trajectoires guidées par leurs nouveaux choix. Celui de l’aveu entre autres, le plus important du film. Un aveu gênant que le personnage principal n’a jamais pu faire lors de la première version de l’histoire :


il est déjà marié.


Cette omission qui gâchera sa journée, il ne la réitèrera pas, choisissant alors de rapidement révéler la troublante vérité à la jeune Hee-jung au cours de la deuxième partie. Une honnêteté bénéfique conduisant à une envie plus forte de savourer l’instant présent, donnée essentielle dans le cinéma de HSS.


Le réalisateur coréen convoque ici une poétique métaphysique moins présente dans son cinéma jusqu’alors. En nouvel éloge du hasard –présent dès le tournage de ses films-, Un jour avec, un jour sans interroge nos parcours de vie, faisant écho à l’Effet Papillon par exemple, la vérité en battement d’aile. Ou ne serait-ce peut-être qu’une interprétation parmi tant d’autres, puisque l’on peut se demander si Hong Sang-soo ne nous propose pas deux réalités différentes où les uns apprennent des erreurs des autres, comme le démontrait déjà La double vie de Véronique de Kieslowski, ou plus récemment Another Earth de Mike Cahill. En résulte un film particulièrement touchant, qui nous renvoie avec plaisir à notre propre existence et nos rapports aux autres, confirmant dès lors le talent d’un réalisateur dont le regard humaniste est l’une des plus belles choses qui soient arrivées au cinéma contemporain.

Bloodycouscous
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le 11 mars 2016

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