« Six heures » s'affichait en gros caractère sur le radio réveil de Phil tandis que la lumière éparse du levé du jour inondait mollement son antre, sa chambre d’hôtel. Phil émergea sans aplomb avec les mêmes yeux résignés que la veille, la même gueule bouffie d'un sommeil sans repos. Son regard se posa sur ce plafond, toujours ce même plafond, puis sur la boîte chantante qu'incarnait le réveil. La même musique, le même jour, encore et encore... Sans exprimer la moindre colère, Phil s'installa sur le flanc et, dans un accès de rage sourde, abattit le plat de sa main sur le satané réveil. Une fois, deux puis trois et l'objet fut réduit en bouillie.


Rien de nouveau sous le soleil froid de cette petite bourgade, ça Phil le savait mieux que quiconque dans les environs. Oh, il le connaissait bien ce village dans lequel il ne passait pourtant pas plus d'une journée dans l'année : le jour de la marmotte que la populace appelait ça. Phil n'avait cure des marmottes, cela ne l'empêchait cependant pas d'y retourner, trimbalant son sourire forcé au milieu de ces gens simples qu'il méprisait. Ce n'était pas pour le plaisir que Phil assistait à la fête annuelle du village, Phil était journaliste, reporter météo pour être plus précis. Pour Phil, il n'y avait rien de plus rabaissant dans son métier que d'attendre avec une bande de provinciaux que leur mascotte – Phil la marmotte, cela ne s'invente pas – daigne ou non sortir de son arbre, indiquant si l'hiver durerait encore longtemps.


Phil n'était pas heureux. Il y avait bien cette femme, Rita, qui l’intéressait et donnait matière à ses fantasmes, seulement elle ne le voyait uniquement comme imbu de sa personne, ce qu'il était, assurément. Phil n'aimait pas les gens, il les prenaient de haut pour mieux les rabaisser tandis que lui trônait par delà l'indifférence grimée en sarcasme. Phil était tout cela mais Phil ne faisait que suivre le cours de sa vie en la laissant filer, la laissant se tarir, le tarir.


Si Phil connaissait si bien le petit village c'était pour une bonne raison : Phil se réveillait tous les matins dans cette même chambre d’hôtel, baigné de la même lumière, de la même musique, le même radio réveil, le même jour : le jour de la marmotte. Phil avait beau occuper son 2 Février de mille et une manière, Phil se réveillait toujours au matin, six heures tapante, 2 Février, jour de la marmotte. Encore et encore...


D'une malédiction inexplicable, Phil eu bien l'audace d'en tirer profit en collectant des centaines d'informations et d’événements, mais l'euphorie fut, hélas, de courte durée. Phil répétait les choses, des milliers de fois probablement, jusqu'à agir comme le Dieu omniscient qu'il croyait déjà être. « Le savoir c'est le pouvoir », Phil le découvrit et se servit de l'adage pour séduire, sauver, fuir et éviter, réessayant le lendemain en cas d'échec. Et si son perpétuel petit jeu l'amenait à baratiner la belle Rita, celle-ci ne se laissait guère prendre dans ses filets, la personnalité opportuniste de Phil refaisant toujours surface.


Phil abandonna, jusqu'au désir de vivre pour aller directement se confronter à une mort ne voulant pas plus de lui. Phil était seul, triste, froid. Phil ne pouvait se sauver, ne pouvait se fuir, ni sauver les autres ou les fuir réellement. Et Phil comprit. Il comprit que le jour de la marmotte pouvait faire de lui une meilleure personne, un meilleur être-humain. Il se cultiva, apprit à connaître son monde, sa journée, Rita. Elle était toujours là, non plus comme trophée, mais comme amour.. Ce ne fut qu'en devenant autre qu'il se redécouvrit, qu'il se révéla et put de nouveau vivre, pourquoi pas un 3 Février...

Fosca
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes En 2016, je vais sucer la moelle du cinéma et Les meilleurs films de 1993

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le 15 févr. 2016

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