On ne va pas me faire pleurer sur un sevrage, j'arriverais très bien à me passer de produits pour me sentir vivant. Mais bon, ça ne regarde que moi. J'entre dans la cour de récré.
Pas de bousculade, pas d'enjeu, une chronique plan-plan. Le plus prévisible arrive à chaque fois, sauf quand c'est plus ridicule. Un monde terne prend forme peu à peu. La musique sert à cacher les jointures, mais elle participe à l'effet brouet : elle souligne, il faut que joie et tristesse nous rentrent immédiatement dans le crâne. La balourdise des compositions "exotiques" dans les moments de "délires" parachève le pénible de l'expérience.
Il faudra supporter le vieux Gabin, son cabotinage, cette auto-parodie permanente. Il arrive même à surjouer la sobriété ! Belmondo est insipide. On est en 1962 pourtant, il aurait pu être en forme, mais aucun panache : soit terne, soit pris d'une frénésie étriquée, sans ampleur, comme avec sa danse sur la table, hachée par un montage binaire, pour nous forcer à sentir une excitation sans âme.
L'écriture d'Audiard devient indigeste dans un film qui se prend autant au sérieux. Se contenter de compiler des boutades puériles abolit toute la profondeur psychologique qui est censée soutenir le mélo. Au final ces types sonnent creux, ce sont les mêmes pantins que dans les autres films écrits par le ventriloque sacré.
Soudain, des voitures foncent à toute vitesse sur Belmondo qui fait le toréador au milieu de la route, puis les automobilistes en sortent pour le rouspéter. L'absurde effet sert probablement à impressionner le chaland en utilisant des cascadeurs. L'idée avait son charme.
Bien réac comme il faut, le "bon sens" répète à foison qu'on n'en fait plus des pinards comme ça, etc. et on se met le bistro du coin dans la poche. Bien sûr ça n'empêche pas de mépriser les concernés. La mesquinerie est le moteur du scénario, qui exige qu'on dissémine régulièrement des enjeux stupides pour tromper l'ennui. Différencier les bons des mauvais ivrognes c'est déjà assez laid, mais quand c'est censé légitimer la rupture d'une amitié, ça me sidère.
Et puis les femmes doivent rentrer dans leur case habituelle. L'épouse, malgré sa gentillesse, est intrinsèquement limitée par sa moralité trop rigide. En réalité elle est sournoise. Comprenez que c'est ainsi, les bonnes femmes sont castratrices. Hors du mariage, ce sont des catins un peu nigaudes, ou bien des nonnes ridicules et hystériques.
Principale chose à admettre : l'alcool est le seul moyen de se procurer de la joie. Sauf que la pauvreté de cette fantaisie saute aux yeux, et même l'absence pure et simple de fantaisie là où on essaie maladroitement de nous faire croire qu'il y en a. Écouter quelqu'un hurler sur tous les tons un nom de fleuve ou de pays ne me fait pas voyager, ça n'a simplement aucun intérêt. Comment peut-on se complaire dans ce degré zéro de l'imagination ? Comment peut-on penser que quelqu'un puisse avoir envie de rechercher cette platitude ? Ce qui me dépasse, c'est que le personnage de Gabin soit fasciné par la médiocrité de celui de Belmondo.
Pourquoi faut-il que tout le monde soit ridiculisé ? La viande soûle s'agite, ça excite un troupeau (littéralement) de villageois bornés (lire des livres ? c'est louche...), puis il ne reste plus qu'à s'enterrer misérablement, parce que la joie (impossible de l'envisager sans ivresse, n'oubliez pas) est interdite en ce bas monde. On s'est tous marché sur les pieds et tout le monde a perdu, sans qu'on comprenne trop pourquoi. J'aurais dû me repaître de cette débâcle, participer à ces gamineries ? L'excuse in extremis de l'enfant enfin assumé est trop artificielle pour m'attendrir. La fin essaie à toute force de nous faire croire à une impasse pour le pauvre Gabin, qu'on doit sans doute imaginer obligé de cohabiter avec son atroce femme dans un grand hiver, où l'alcool et la vie sont interdits. La récré est finie pour toujours, oubliez toute alternative, apitoyez-vous. Non, merci.
Un bon point pour la boutique bordélique de Landru (le seul type vaguement sympathique du lot, mais on n'a pas le temps de vraiment en profiter), et pour l'idée de faire se répondre une scène de bombardement avec une scène de feu d'artifice (l'idée seulement, le film ne réussit pas à la faire vivre).