Adapté du roman éponyme d'Antoine Blondin ayant reçu le prix Interallié en 1959, Un singe en hiver réunit pour l'unique fois la star du cinéma français et la vedette de la Nouvelle Vague. Au début du tournage, Belmondo n'a pas 30 ans alors que Gabin est presque sexagénaire. Restés une semaine sans véritablement s'adresser la parole, c'est lorsque le vieux lisait Paris-turf et le jeunot L'équipe que l'ambiance se détendit, l'amour du sport ayant rompu la glace. A tel point que Gabin surnomme Bebel «le môme» et trouve en lui son fils spirituel.


Dès l'ouverture, Albert, le personnage de Gabin, embaume l'écran de façon cocasse avec son parfum de spiritueux, parfum de l'innocence d'un homme soûl transpirant l'euphorie insouciante. Henri Verneuil ayant pris de la bouteille, c'est dans la mise en scène qu'il se démarque avec continuellement des séquences fortes, riches en émotions et en symboles. Lorsque Albert promet à sa femme d'arrêter de boire alors qu'ils frôlent la mort, le cinéaste prouve qu'il a le talent pour passer de la comédie au drame, en signant là une des plus grandes comédies dramatiques.


Depuis quinze ans qu'il n'est plus au bout du goulot, Albert n'est plus même homme, est au bout du rouleau et transpire la lassitude aux côtés de sa déprimante femme. Il prend la poussière à force de faire partie des meubles. Tel un plumeau Gabriel Fouquet arrive à l'hôtel Stella sous la pluie automnale. Un jeune déluré qui va chercher ce qu'on ne trouve plus chez Albert, de l'aspirine de l'âme qui lui met l'eau à la bouche. Sous la belle musique de Michel Magne, Gabriel déguste pour oublier l'échec de sa vie sentimentale avec Claire et voyager dans les souvenirs qu'il vécut à Madrid, alors qu'Albert regarde d'une œil triste celui ce jeune qui lui rappelle sa personne d'un temps révolu, puis se tourne vers le passé et ses cadres du Yang Tse Kiang, dos à sa femme. Comme une envie de se détacher du présent pour revenir à l'essence même de sa vie passé, de sa vie qu'était appréciable.



Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse !



On pourrait se demander qui est ce singe, mais en réalité, il y en a sans doute trois de ces petits êtres égarés, trois générations différentes : Albert, Gabriel et sa fille. Haut lieu de culte, ou de cuite, si on se concentre sur ces hommes sans foie, ce n'est pas pour se concentrer sur un esprit gaulliste ou de briser les codes comme la Nouvelle Vague qui discréditait outrageusement le film. Non, Un singe en hiver est avant tout un film optimiste, un hymne à l'ivresse non-avoué, bercé par les dialogues d'Audiard s'inscrivant dans les meilleurs jamais écrits, où chaque citation est une punchline. Un film à la mise en scène magistrale, au bonheur contagieux et addictif tant il déborde de scènes amusantes avec ce duo à la complicité admirable, en particulier pour cette ultime biture explosive, qui laisse place à un final incroyablement beau, mélancolique et sobre.


Véritable philosophie de vie définissant la cuitasse plus comme un hymne à la joie qu'à une échappatoire à la tristesse, Un singe en hiver est un véritable voyage émouvant et drôle, un hymne à la vie, aux bons vivants, capable de changer une vision de vie, qui rappelle que le vice peut être une source de plaisir. Surtout si la source en question est faite de calva.

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le 11 juil. 2015

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Alex La Biche

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