Gabin et Belmondo réuni ... Un seul de ses acteurs est déjà une raison suffisante pour voir un film, alors, les deux noms sur la même affiche, autant dire que mon petit cœur avait déjà du mal à rester en place avant le générique de début. Un début grandiose, où, en 1944, Albert Quentin (joué par Jean Gabin), alcoolique assumé, promet à sa femme, Suzanne (Suzanne Flon) de ne plus toucher à une goute d'alcool si ils survivent à un bombardement.
15 ans plus tard, Albert tient toujours promesse quand arrive Gabriel Fouquet (Jean-Paul Belmondo), un jeune homme qui sort d'une rupture amoureuse, est nostalgique de l'Espagne et souhaite récupérer sa fille, Marie, qui est dans une pension.

Mais là où ce film surprend, c'est qu'il parle moins de l'alcool que du grand style des grands hommes. Albert et Gabriel sont des paumés, des albatros perdus sur la terre ferme. Leurs ailes de géants, leurs visions grandioses du monde. Leurs rêves de pays chauds (la Chine pour l'un, l'Espagne pour l'autre), leur désir de voyager, tout ça se retrouve mis à mal dans le village calme, ennuyeux, voir médiocre de Tigreville.
L'alcool apparaît alors comme une délivrance. Ils le savourent, ils savourent ce moyen de s'échapper, de s'envoler, de s'éloigner du commun des mortels. Ils ne sont pas des soiffards, des piliers de bars, ils sont alcooliques par dérision, par mépris. Ce sont des hommes romantiques, grandioses, qui sont perdus au milieu de la bassesse du réalisme humain, cette race médiocre et méprisable qui ne comprend pas qui sont ces deux hommes.
On voit ainsi la foule les maudire, les détester, les insulter. Non pas parce qu'ils sont ivres, mais parce qu'ils sont différents. Il suffit de voir les habitués du cafés, cracher sur Albert, pourtant sobre, uniquement parce qu'il ne lit pas le journal comme tout le monde, mais des livres. Il est spécial, il est différent, donc on le rabaisse. Le clou qui dépasse se fait taper dessus.
Ce film évoque donc cela, la grandeur, la différence. Ce film c'est encore et toujours cette thématique magnifique du sur-homme, perdu au milieu de la foule. Et rien que pour ça ce film est grandiose.

Mais ce film est réussi pour plein d'autres raisons. Sa galerie de personnage, totalement incroyable. L'ancien ami, mais type médiocre qu'est M. Esnault (Paul Frankeur) et toute sa clique, qui le suit et représente les autres, la foule, les mauvais.
Suzanne, la belle Suzanne est charmante. Elle montre la complexité du personnage féminin, amoureuse mais soucieuse, ne voulant pas être étouffante mais ne saisissant pas pleinement les subtilités de l'homme qu'elle aime.
Landru, (Noël Roquevert) est haut en couleur. Sans alcool, il est comme Belmondo et Gabin. C'est un de la race des seigneurs. C'est un homme comme on en fait peu. Enigmatique au final, ce personnage interroge le spectateur sur les propres limites des protagonistes. Landru n'est il pas encore au-delà d'eux, lui, qui sans alcool, atteint le même degré d'extase ?
Enfin, Mme Victoria (Gabrielle Dorziat) est vraiment amusante, en mère supérieure de sa pension, feignant d'être anglaise malgré un accent parfaitement horrible.

D'ailleurs, l'ensemble du film est très drôle tout en étant particulièrement intéressant du point de vue intellectuel. Sans jamais chercher à être véritablement touchant, le film veut nous amener à réfléchir sur l'alcool, sur la grandeur, sur la décadence, sur la médiocrité, sur la vie en sommes, mais pas la vie en puissance, non, la vie en acte. Vivre, c'est ça le projet du film, c'est ça son propos. Un sujet bien triste au final, vu le résultat : Un singe en hiver.

Le film est également doté d'une bande-son plaisante, qui accompagne bien l'image et sait souligner l'ambiance comme elle le doit. On regrettera peut être son léger effacement par moment et son manque également d'un charisme nécessaire, tout en étant, malgré tout, reconnaissable et très plaisante.
Les cadrages sont beaux par contre. Le travail sur l'image est réussi. Les plans, les angles de vues, c'est soignés, sans être, pour autant trop présent. En effet, les héros du film, ce sont les personnages, bien plus que l'image elle-même.
Cela se remarque notamment via des dialogues majestueux. Ce film regorge de réplique culte, de phrase toute puissante, de moment fort en sommes. A écouter, les dialogues sont grandioses. C'est du Audiard, c'est certain. Sa patte est reconnaissable entre mille. Son talent est éblouissant et il soutient le film, il y apporte sa majesté permettant pleinement au sujet de s'exprimer à travers la bouche des acteurs, tous excellents.

Le scénario aussi est très réussi, son développement surtout et sa construction. Le film dure 99minutes. Presque 20 sont réservées à l'introduction, aux années 40, à l'ivresse de Gabin, au bombardement et à sa promesse. Ce n'est donc pas un vague souvenir c'est quelque chose qui est parfaitement montré.
Les 50 minutes qui suivent servent surtout à montrer comment le personnage de Gabriel va rallumer le feu dans l'âme d'Albert. Cela sans que ça soit artificiel. Gabriel se suffisant à lui-même, c'est son personnage même qui sert de combustible pour Albert. Enfin, pendant presque tout le reste du film, les deux s'en donnent à coeur joie. Ce n'est pas une rechute, c'est une délivrance. Et cela est d'autant plus vrai que c'est symbolisé par le feu d'artifice, second bombardement faisant écho au premier, à celui qui a poussé Albert à ne plus boire. Ce second bombardement c'est une évasion, c'est une bouffé d'air, car maintenant, Albert, le vieil homme, le singe, revient à son hiver.

Un film splendide, à voir, obligatoirement.
mavhoc
9
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le 22 août 2014

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mavhoc

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