Il est de ces films dont tout le monde connaît le nom sans pour autant jamais les avoir vus. Ce genre de films qu'on pense peut-être un peu trop vieux pour nous toucher et auxquels on hésite à s'attaquer tant ils sont sacralisés. Et bien malheureusement, j'ai longtemps fait cette erreur en ce qui concerne "Un singe en hiver".
Le film commence doucement en nous présentant un Gabin (alias Albert Quentin) nostalgique d'un passé glorieux qu'il ne retrouve que dans la boisson. Lui qui se vante sans cesse de son périple en Chine se retrouve ici simple spectateur du Débarquement et d'une guerre où il n'a pas sa place. Il déambule ça et là sur le champ de bataille, ivre et inconscient du danger qu'il court avec son compère Esnault, campé par l'excellent Paul Frankeur, avant finalement de se rendre compte que l'alcool, en le faisant rêver, le coupe du monde réel. Il s'engage alors auprès de son épouse à ne plus jamais boire.
15 ans s'écoulent et on retrouve notre vieil Albert à la tête de son auberge avec sa femme. Il ne boit plus, mais il s'ennuie dans ce coin retiré de la Normandie et si loin de ce Yangtzekiang qui le hante. C'est alors qu'arrive le jeune et fringuant Belmondo. Lui n'a pas renoncé à la boisson, ça non, et rêve d'Espagne là où Gabin voyait la Chine. Si au début on ne comprend pas bien ce qu'il vient faire en Normandie, on comprend vite que c'est sa fille qui le retient dans ce trou paumé loin de son Espagne chérie... Tout comme Gabin, qui a renoncé à ses rêves pour l'amour de son épouse.
Et c'est cet étrange duo, servi par des dialogues signés par un Audiard à la hauteur de sa réputation, qui donne corps à l'histoire. Gabin tente en effet de raisonner ce jeune homme dans lequel il se reconnaît tant... mais comme il est dur de raisonner un rêveur quand on en est soi-même un !
Sans vouloir refaire plonger Albert Quentin, le personnage de Gabriel Fouquet (joué par Belmondo) vient quant à lui bousculer le quotidien de son aîné; un quotidien où il s'ennuyait mais auquel il s'était habitué.
Finalement, et après bien des tractations, le film se termine sur un moment d’apothéose: les deux immenses acteurs s'adonnent à une dernière nuit de folie; une nuit où tout est permis pour refaire vivre leurs rêves... Une dernière fois.
Bien sûr, la fin ne nous dit pas ce que deviennent nos deux compères par la suite, mais ce n'est pas dur à imaginer : Belmondo va renoncer à sa folie pour mieux s'occuper de sa fille, comme Gabin l'avait fait en son temps pour s'occuper de sa femme; quant à Gabin, le temps des rêves est définitivement fini pour lui. Il se remet alors à mâcher les bonbons qu'il mâchait pour éviter de boire tandis que le train emmène Fouquet et sa fille loin du vieil homme qu'il est devenu. Un texte apparaît alors à l'écran pour nous signifier que le vieil homme "s'enfonça alors dans un long hiver", comme pour confirmer ce que l'on pensait déjà.
Ce film, en noir et blanc et sans chichi, mérite donc bien d'être sacralisé. Mais loin d'être inaccessible ou d'avoir vieilli, il nous fait réfléchir sur des sujets tels que la vieillesse, la nostalgie, la peur du temps qui passe et de voir l'autre changer; changer au nom de rêves dangereux parce que si puissants. Tous les acteurs y sont excellents et notamment les seconds rôles comme l'éternelle Suzanne Flon, qui joue ici l'épouse d'Albert Quentin, cette épouse tétanisée à l'idée de voir son mari replonger.
Loin de cette image de "nanars", qu'on colle parfois au films français; un singe en hiver restera pour moi un vrai moment de cinéma et une redécouverte du septième art made in France.

Pierre_Stiévenard
9

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le 2 févr. 2016

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