Una
6.1
Una

Film de Benedict Andrews (2017)

Lorsque le malaise devient fascinant...

Una sort de sa voiture sur le parking d'une usine. À la fois déterminée et fébrile, elle accélère le pas et évite de croiser le regard des quelques ouvriers à l'extérieur. Alors qu'elle longe seule le mur de l'immense bâtiment, elle est soudain prise de nausées et se cache dans un taillis pour vomir. Puis, elle se ressaissit, rentre à l'intérieur et, grâce à la précieuse photographie qu'elle a conservé, demande à un jeune ouvrier où elle peut trouver l'homme qu'elle recherche. Celui qu'elle est venue affronter après avoir découvert qu'il avait changé de nom et recommencer une nouvelle vie. Celui qui l'a abandonnée il y a bien longtemps dans une chambre d'hôtel après lui avoir promis qu'ils s'enfuiraient tous les deux. Celui qui a abusé d'elle lorsqu'elle avait 13 ans.


Avec cette adaptation cinématographique de la pièce "Blackbird" de David Harrower (également scénariste) en guise de premier long-métrage, on ne peut pas dire que Benedict Andrews ait opté pour la voie facile. Pourtant, en disséquant les ravages d'une relation contre-nature sur deux existences à travers les "retrouvailles" de ceux qui l'ont vécu, "Una" va se retrouver dans une espèce d'entre-deux passionnant où la fascination se dispute constamment au malaise.


Cela commence bien sûr par le personnage d'Una et les motifs flous qui entourent sa démarche des années après qu'elle fut abusée par ce voisin et ami de ses parents. Est-elle venue "simplement" se confronter à lui par esprit de vengeance, lui faire reconnaître la portée de l'acte innommable commis ? Est-elle là parce que, lui, a pu s'octroyer une nouvelle vie après avoir purgé sa peine alors qu'elle a passé toutes ses années bloquée dans sa maison d'enfance avec sa mère, à ressasser son drame dans un quartier où tout le voisinage en connaissait la teneur ? Ou serait-elle seulement venue le voir pour comprendre pourquoi il l'avait abandonnée le fameux soir de son arrestation et mettre des explications sur la fin de leur relation ?
À vrai dire, c'est évidemment tout ce mélange d'émotions contradictoires habitant Una, un personnage torturée par la conscience d'avoir été abusée et incapable de contenir des sentiments autrefois bel et bien éprouvés, qui la rend aussi mystérieuse qu'intéressante aux yeux du spectateur.


En face d'elle, le portrait de son agresseur est dessiné de manière toute aussi floue pour créer un peu plus de trouble. Avons-nous affaire à un prédateur passé maître dans l'art de manipuler les sentiments d'une pré-adolescente pour assouvir ses fantasmes ou un homme brisé qui a commis l'erreur irréparable d'une vie et faisant tout pour l'oublier ? Dans un premier temps, le film va entretenir cette frontière forcément vectrice d'un incroyable malaise entre la pédophilie et l'idée d'une réelle relation amoureuse réciproque en la faisant déteindre sur les ruptures de tons des différentes conversations entre Una et son ancien voisin.


Même si des agissements entrevus dans des flashbacks ainsi que des silences et des omissions à certaines questions feront pencher la balance d'un certain côté, c'est bien dans cette hésitation permanente que le long-métrage tirera sa principale force -et comme on l'imagine, il doit être en de même pour la pièce. La tension et ses multiples sources habitent chacun des échanges entre Rooney Mara et Ben Mendelsohn, tous deux absolument géniaux pour toujours fragiliser nos certitudes autour de leurs deux personnages et rendre imprévisible la tournure de leur nouvelle relation.


Visuellement, Benedict Andrews entretient aussi plutôt bien la carte du trouble lorsque, par exemple, il met en avant le visage de Ben Mendelsohn rendu sinistre par la pénombre ou quand il réduit Rooney Mara à une taille enfantine au milieu des gigantesques étagères d'un entrepôt. Mais c'est aussi sur ce plan que "Una" connaît sa plus grosse faiblesse : le contexte qui voit les deux personnages jouer à cache-cache avec le personnel du l'usine apparaît en effet comme une métaphore pas vraiment subtile de la société vis-à-vis de la réminiscence de leur relation interdite et vient même parfois parasiter la puissance de son propos.


Peut-être est-ce là un des uniques défauts de "Una", de même que sa dernière partie, plus attendue mais terriblement nécessaire pour appuyer de la manière la plus noire qu'il soit la prise de conscience de son héroïne...
Dans tous les cas, le film de Benedict Andrews exerce un tel pouvoir de fascination et de malaise par la confrontation de certaines facettes les plus contradictoires de l'âme humaine qu'on ne peut que passer outre et saluer la qualité de l'arène d'émotions sombres dans laquelle il n'a de cesse de nous entraîner.

RedArrow
8
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le 2 avr. 2018

Critique lue 2.5K fois

9 j'aime

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