Si la dernière baffe des frères Safdie n’est visionnable que sur Netflix, la firme n’hésitant pas à dégainer la planche à billet pour s’approprier les auteurs indé un poil connus, Uncut Gems n’en reste pas moins un immense moment de cinéma ô combien gueulard (une chroniqueuse particulièrement soucieuse de ses relations avec ses voisins a joué avec le bouton “mute” de sa télécommande tout le dernier acte) mais immensément prenant. Je ne suis pas certain d’avoir respiré une seule fois durant les 30 dernières minutes de ce récit retord, imprévisible jusqu’à l’antépénultième seconde.


Premier pari gagné du métrage, imposer Adam Sandler dans un film noir. Un ancien du Saturday Night Live (LA grande émission qui a généré toute une vague d’acteurs et showmen américains) qui se fit remarquer au début des années 2000 dans une poignée de bons films comiques avant d’enchaîner les projets vaseux jusqu’à détenir le record peu enviable du nombre de nominations individuelles aux Razzies Awards (soit 11). Pas loin d’un Dubosc américain, à la popularité publique inversement proportionnelle à la critique, enchaînant jusqu’à 5 tournages par an pour alimenter le catalogue “Comédies honteuses” de Netflix, il est ici artistiquement ressuscité dans le rôle d’un bijoutier juif de Diamond District. Moralement handicapé, incapable de faire une transaction sans y ajouter trois couches de magouilles tout en naviguant houleusement entre sa famille, sa maîtresse (Julia Fox, qui crève l’écran pour son premier film), des bookmakers crapules, une galerie d’usuriers retors et leurs chasseurs de dettes sans scrupules.


Le film commence quand il met la main sur une opale éthiopienne valant possiblement une fortune s’il arrive à la revendre, point de départ d’une délirante et mortifère martingale pour ce caractère surexcité, aussi tragique que cynique, parfaitement détestable mais hautement fascinant. Jamais je n’aurais imaginé voir La vérité si je mens revisité par Abrl Ferrara époque Bad Lieutenant, et pourtant devant le fait accompli on se retrouve la machoire décrochée jusqu’au sol, abasourdi après 2h passée à survivre dans le tambour de cette machine à laver new-yorkaise sans lessive dont on ressort crade comme jamais. Mais heureux. Quand même.


Peut-être meilleur que Good time (leur dernier) et certainement que Mad Love in New York, Uncut Gems est sans conteste un diamant brut, la caméra à l’épaule semblant parfois jetée là où il y avait de la place pour filmer dans la pièce et les acteurs pas loin de l’hystérie nous offrent un numéro de funambule permanent entre ton juste et cabotinage complet, c’est pas non plus les effets spéciaux baveux ou la musique semblant coincée dans l’illustration de sitcom de 80’s qui va aider, et pourtant tout ça serait mieux fait qu’on n’y croirait moins. Le bordel apparent ne cache pas moins une grande maîtrise, l'exploitation de l'espace dans la minuscule bijouterie se révélant un modèle de mise en scène.Diamant brut mais surtout diamant noir, la tragicomédie aux accents de thriller dégage un cynisme sans concessions, contrairement à Good Time où tout ce qui peut aller mal va mal, ici notre personnage a cent fois l’occasion de s’en sortir et va cent fois préférer convoquer les emmerdes dans l’espoir de toucher le pactole là où il aurait pu saisir son salut. Prenant son destin en otage et nous avec.


Haletant comme courir un marathon accroché à un jambon et poursuivi par une meute de loups, Uncut Gems est un peu le diamant caché au fond de la mine du catalogue Netflix, dans l’ombre d’uber-oeuvres comme The Irishman (d’ailleurs Scorsese est ici producteur). Si jamais vous voulez rentabiliser votre abonnement – ou celui d’un pote – vous savez quoi faire dans ce début d’année morose niveau ciné.

Cinématogrill
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le 3 févr. 2020

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