On peut pas dire que ce soit raté. Loin de là, vu la maîtrise du cadre et des lumières notamment. D'ailleurs ça semble bien être le premier souci du réalisateur, l'image. Il veut nous plonger dans une ambiance. C'est sombre, c'est la campagne, il pleut, il y a un tueur pervers qui rôde. Et un agent de sécurité, notre personnage principal, joue les enquêteurs. Combien d'éléments à contrôler dans cette histoire ? Pas beaucoup, apparemment. Faîtes attention à bien contrer la lumière sinon on ne verra pas les gouttes tomber. Voilà, et si on peut se mettre dans cet angle précis afin qu'on voit quelques gouttes briller en tombant. Voilà. Et faites en sorte que tout le monde porte le même K-way, dans les mêmes tons de couleur. Du kaki au bleu marine, mais pas de blanc, pas de rose, pas ces mochetés qu'on voit dans la vraie vie. Et maintenant balancer toutes les ambiances pluie sur K-way, pluie sur vitre, pluie sur toit, pluie sur route, ça fait musical.
C'est beau, oui. Il faut pas faire attention à ces petites incohérences qui servent l'ambiance. Car quelle ambiance ! Ça fait penser à Memories of Murder et à Seven. Seven pour la pluie et surtout la pousuite à pied sous la pluie. Sauf que là, il y a quelques soucis de montage, j'ai trouvé cette scène de poursuite très inégale, avec un bon combat au sol mais des mollesses brutales et soudaines dans l'enchaînement des plans. Memories of Murder, c'est pour tout le reste. Le village de campagne qui vit par son usine, un serial killer invisible, un corps de jeune femme dans le champ devant les cheminées de l'usine, un associé un peu crétin, des états d'âme... C'est beaucoup trop Memories of Murder. Beaucoup trop pour qu'on parle juste de référence ou de clin d'œil. L'esprit même du film et son enquête qui fait douter est le même. La même mélancolie s'en dégage sur cette vie cul-de-sac.
Il y a une chose en plus tout de même qui prend beaucoup de place, c'est que dans Une pluie sans fin, l'usine prend une place prépondérante, là où elle faisait essentiellement décor dans Memories of murder, qui se passe en Corée. A travers cette usine et ce qui lui arrive, c'est tout un discours sur les récentes transformations de la Chine qui se déploie. Un discours un brin nostalgique et certainement amer. Très bon point à ce niveau. Ce serait original si ce n'était le propre du cinéma de Jia Zhang Ké mais ce n'est pas directement calqué sur un film précis et surtout ça touche. C'est cette usine qui, à plusieurs reprises a ravivé mon intérêt pour ce film alors que je commençais sérieusement à me demander quel était l'enjeu avec cette femme et son salon de coiffure et cette enquête stagnante. J'ai dû rater quelque chose, une petite phrase, et sans elle je n'ai pas saisi l'ampleur de cette relation qui m'a ennuyée, finalement et se termine sur un fond vert assez grossier qui contraste avec tout le reste du film sur le soin des images. Mais l'usine, par quelques scènes qui contrastent avec le récit, devient un personnage de grand pouvoir et imprévisible vraiment appréciable. C'est elle qui fait métonymie de la Chine dans son entier, et cette figure de style en rend d'autres lisibles, de la vraie poésie significative de cinéma, politique, malheureusement sur un mode déjà vu.
Donc c'est joli, ça immerge, mais si on a vu ses films, on pense très souvent à Bong-Joon-Ho et en sortant, on se dit qu'on regarderait bien des films de Bong Joon-ho. Pour une raison en particulier, c'est que dans son pastiche, Dong Yue a oublié l'humour. Une des marques de fabrique, une singularité primordiale du cinéma de Bong-Joon-ho est l'humour, à travers lequelle il fait passer une idée de la violence (stupide et brutale mais souvent comique), une tendresse pour les personnages crétins, et surtout, cet humour arrive souvent sans prévenir dans des scènes parfois assez intenses dramatiquement. Cette incongruité de l'humour, on la retrouve beaucoup dans le cinéma coréen en général, pour notre bonheur. Ici, pas d'humour. Un personnage un peu stupide pourrait nous faire rire ou nous attendrir ou nous surprendre, et ne fait finalement rien de tout cela.
Si Dong Yue se trouve un vrai scénario original, ce sera un plaisir d'aller profiter de ses talents esthétiques. Là, l'argument est insuffisant.

Pequignon
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le 28 juil. 2018

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