Difficile pour moi d'aller voir ce film, je suis rongé par le coté assez ironique d'une bande de gens aisées assistant à la projection d'un film dit "social" montrant les déboires de la grande distribution et l'aliénation qu'elle provoque dans une démarche "d'auteur" qui finalement expose à la cinéphilie bourgeoise ces personnages comme des bêtes de foires.
Tout cela c'est grosso modo ce à quoi je m'attendais en allant voir Valse dans les allées et forcé de constater que si cette gêne n'a pas pour autant disparu le film se révèle bien plus subtil et présente son sujet de manière éminemment cinématographique évitant le piège d'un documentaire social à la Stéphane Brizé.


En effet Thomas Stuber montre ici le supermarché d'une manière brillante en le plaçant directement du point de vu des personnages, il est ici source de fantasme, dernier bastion social de personnages qui donnent tous ici une impression de fragilité immense, comme si ils pouvaient à tout moment craquer. Leur lieu de travail est finalement leur seule attache, leur seul moyen d'interaction sociale,
cela s'illustre dans la mise en scène par une vision très fantasmé du supermarché bien loin de ce qu'on a pu voir sur France 2, c'est ici un lieu presque magique coupé de l'extérieur ou les personnages s'entraident en communauté et vivent leur vie pleinement pour finalement le quitter dans la nuit noire ou ne les y attend que le vide. On y joue au échec, vole de la nourriture dans les poubelles, rien ne semble avoir de conséquences et la menace des "supérieurs" ne sera jamais montrée mais seulement évoquée au détours de quelques dialogues.
Pour autant la violence sociale n'est pas absente loin de là mais elle est en arrière plan, secondaire dans l'esprit des personnages qui sont attachés bec et ongle à leur lieu de travail, comme si les risques pris dans ces chariots extrêmement dangereux ou les heures de travail dans la frénésie de Noël n'étant que secondaires face à la magie du seul lieu qui finalement renferme un peu d'humanité.


La quintessence de ce fantasme est pour moi " Marion des bonbons" ce personnage représente la fascination de Christian le personnage principal pour le supermarché, il est son âme comme si au final le personnage en lui même n'existait pas mais qu'il était la représentation que Christian se fait de son lieu de travail.
Le film ne va jamais aussi loin mais de nombreux indices viennent appuyer cela, le bruit de la mer qui est évoqué par Christian au début du film puis qui se retrouve dans la scène finale, le puzzle chez elle qui est le même que la tapisserie dans la salle de café, le fait que Chistrian soit un ancien voleur et qu'il " va chez elle " pile au moment ou il rechute se remettant à boire, l'on ne sait jamais comment il obtient son adresse ni sa date d'anniversaire. La scène ou Bruno évoque un "mari violent" se fait dans la seule scène ou le supermarché nous parait extrêmement morbide devant un aquarium de poissons agonisants comme si il évoquait une maltraitance bien plus insidieuse qui n'était jusque là qu'en arrière plan.


Bruno parlons-en, il représente ici le mentor de Christian, une figure paternelle rassurante qui l'aidera dans son intégration. Il y a également une dualité très intéressante entre les deux personnages qui sont tout deux très similaires, presque miroir l'un de l'autre. Ce qui vient encore plus étayer ma théorie sur Marion car Bruno s'invente une femme devant ses collègues.


Dernier petit point à aborder et pour cela je vais devoir spoiler c'est la scène de fin qui m'a glacée le sang, après le suicide de Bruno par pendaison, Christian le remplace à son poste et Marion veut lui " montrer quelque chose", elle fait monter l'élévateur pour le faire redescendre tout doucement et dit à Christian qu'on entend le bruit de la mer, avant que celui-ci prenne le pas dans la tête du personnage on y entend un bruit de corde qui se serre comme si on entendait le suicide de Bruno, comme si c'était la seule issue...alors je sais pas si c'est moi qui ai surinterprété la chose mais ça m'a vraiment mis une petite claque.


Au final Valse dans les allées est à mille lieu du cliché que je m'en faisait et m'a surpris agréablement par sa profondeur d'interprétation et la justesse avec laquelle il traitre son sujet. Thomas Stuber dépeint ses personnages avec une grande tendresse et nous sert un propos très subtil sur le travail en grande distribution. Plutôt que d'axer son film sur le social il choisit de prendre un point de vu totalement intérieur ce qui le rend d'autant plus glaçant.
Plus que de nous interroger sur la grande distribution, il nous nous interroge sur la société capitaliste dans son entièreté qui abandonne des gens au point même que le travail aussi aliénant soit il devient la seule source d'interaction sociale, seule petite acôlve dans un monde extérieur qui les laisse pour compte.

zeodrake
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le 26 août 2018

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