Depuis The Tree of Life, Terrence Malick semblait se chercher un nouveau souffle, avec un cinéma extatique mais sans grand impact finalement sur le spectateur. Même la Merveille du Mont-Saint Michel n’a pas sauvé le film du même nom d’un ennui patent, et ça n’a cessé de dégringoler depuis. Avec Une Vie cachée, il renoue enfin avec ce qui fait le sel de son cinéma, une ampleur, une beauté, des émotions qu’on peut traiter d’inégalées.
S’appuyant non seulement sur un vrai sujet, mais en plus sur des faits réels, le film de Malick s’ancre à nouveau sur du concret qui ne fait que mettre en valeur un cinéma qui sinon pouvait passer pour de vaines afféteries. L’histoire est celle de Franz Jägerstätter, interprété magistralement par August Diehl, un paysan objecteur de conscience autrichien qui a refusé jusqu’à en mourir de faire allégeance à Hitler. Le film dure près de 3 heures, le temps qu’il faut pour déployer le cheminement d’un homme qui avait tout pour être heureux et qui a choisi de mourir plutôt que de risquer de prononcer ce fameux serment, risque alors assez faible puisque nous sommes déjà en août 43, et de surcroît en travaillant potentiellement comme ordonnance en milieu hospitalier.
Ce cheminement est assez basique, dans le sens où son fondement n’est jamais questionné. (Vers la fin du film, Fani (Valerie Pachner), l’épouse de Franz, dira calmement « un jour, nous aurons l’explication de tout. De ce pour quoi nous vivons »). Et ce fondement, c’est la foi inébranlable, tant de Franz que de Fani, de fervents catholiques qui ne pensent qu’en termes de bien et de mal. De longues parties d’une Vie cachée sont consacrées à cette quête christique, méditations, prières, citations de la Bible, sans d’ailleurs que ça ne nuise à l’ensemble du dispositif du film. De fait le film est bien dichotomique, comme le bien et le mal. Une première partie irradiée de lumière dans les montagnes autrichiennes, un bonheur simple et pur pour ce jeune couple de paysans. La photo est toujours aussi magnifique, avec des grand-angles et des contre-plongées à foison ; le montage toujours aussi impressionnant, comme dans cette belle scène de colin-maillard où de deux enfants, la progéniture passe à 3 dans une sorte de continuum temporel autour d’un même jeu. Quand Franz est appelé et évidemment immédiatement jeté en prison pour insubordination, on passe à des tonalités beaucoup plus sombres, et de plus en plus sinistres, à chaque fois que l’administration pénitentiaire change Franz de cellule. La dichotomie est également dans l’utilisation surprenante de la langue : langue anglaise pour les époux, pour la voix off faite des échanges épistolaires des vrais Franz et Fani, et pour toutes les personnes empathiques de Franz dans son combat. Langue allemande vociférée et même pas traduite pour les « vilains » : les militaires, les villageois acquis à la cause d’Hitler, la cour martiale etc. Terrence Malick saura surprendre et tenir en éveil malgré l’introspection très prégnante dans le film.
Reconnu comme un martyr par l’église catholique, béatifié en 2017 par Benoît XVI, Franz Jägerstätter a tout d’un saint, y compris dans son entêtement quelquefois difficile à comprendre, dans un combat qui ne fait rien évoluer hélas, au prix de sa propre vie. Les trois heures servent alors à montrer comment Franz et Fani , chacun de leur côté se martèlent l’unique et bonne raison de résister à Hitler, « l’antéchrist » ; la bonne raison c’est le Christ, une figure autrement plus précise que le panthéisme habituel du cinéma malickien, bien que la nature un peu mystique reste très présente dans une Vie cachée. D’aucuns, hermétiques à ces questions pourraient donc trouver ce martèlement long, voire indigeste. Mais celui qui s’est -bien volontiers- laissé prendre dans les filets de Jägerstätter , et de Malick, fera le chemin de son ascension vers la sainteté en même temps qu’une apparente descente aux enfers, au même rythme que le protagoniste.
Une Vie cachée est la preuve qu’en s’appropriant un sujet simple, un cinéma aussi tortueux et épiphanique que celui de Terrence Malick peut redevenir une œuvre merveilleuse que l’on portera longtemps après l’avoir visionnée, au même titre que Les moissons du Ciel ou la cultissime Ligne Rouge.
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