Certains d'entre vous connaissent Shane Carruth, l'esprit tordu ayant écrit et réalisé Primer.
Son deuxième film fait moins la part belle aux subtilités d'innombrables branches temporelles qu'à une réflexion sur la résistance primale du libre arbitre d'êtres biologiques contrôlés par leurs instincts, par les liens invisibles qui peuvent les unir ainsi que par les facteurs environnementaux, en l'occurrence le parasitisme.
Upstream Color est un film moins complexe que Primer, mais aussi plus profond, qu'on peut attaquer sous deux angles principaux : la simple histoire d'amour entre deux êtres détruits et exploités par quelque chose de plus grand qu'eux, ou le cycle biologique de ce "quelque chose" et le profond sentiment d'étrangeté presque malsaine qui en émane.

J'ai trouvé ce film absolument remarquable. Je n'en dirai pas plus sur l'histoire -- j'en ai écrit bien assez -- mais je veux souligner la manière bien personnelle qu'à Carruth de la raconter. D'un pur point de vue cinématographique, on voit que le réalisateur en est à ses débuts. Les effets de caméra sont assez classiques, jouant beaucoup sur la profondeur de champ et le flou, les plans fixes parfois un peu plats. Mais la lumière et la mise en scène sont irréprochables, dévoilant plan marquant après plan marquant dans des lieux que l'on voit rarement filmés de cette manière. Le rythme est très spécial et ne plaira pas à tout le monde car il alterne, laissant la part belle à l'ellipse, entre scènes quotidiennes, presque normales et plans semi-fixes le plus souvent muets. Ces plans sont amenés petit à petit et n'ont aucun sens initialement, il appartient au spectateur de reconstituer leur signification au fur et à mesure que le film progresse. Les acteurs contribuent d'ailleurs grandement à la force de ces scènes, le film est très bien joué même si je me suis demandé si parfois Shane Carruth lui-même (il joue l'un des personnages principaux) n'en faisait pas un peu trop. Mention spéciale à Amy Seimetz, fantastique.
La bande son est quant à elle en tout point superbe, d'une bizarrerie ponctuant parfaitement les faits et se mêlant inhabituellement à l'intrigue. Certains passages montrant une prise de son par l'un des personnages renforcent l'impression de flirter à la limite du "quatrième mur".

Ce qui m'a le plus impressionné dans la réalisation est ce don qu'a Carruth d'ancrer dans la réalité un film tortueux et complexe mais doté d'une explication rationnelle qui ne semble pas tant tirée par les cheveux que ça lorsqu'on l'a comprise. Mais parce que cette compréhension demande un effort volontaire, étiré sur toute la longueur du film, ce que l'on voit conserve une dimension onirique et étrange.

Comme je l'ai dit plus haut, et sans vouloir faire preuve d'élitisme, ce film ne plaira pas à tout le monde. Il nécessite du bagage, notamment sur le fonctionnement des parasites ainsi que d'avoir sa propre idée des liens parent-enfant, de la réaction instinctive face à l'incompréhensible. Il nécessite cette volonté parfois à la limite de la frustration d'assembler scientifiquement les pièces d'un puzzle sur toute la longueur du film, tout en exigeant de laisser une part libre à l'imagination et au sentimentalisme.

Si vous vous en sentez capables, ce film est pour vous.
faelnor
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le 16 mai 2013

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faelnor

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