Upstream Color fait partie de ces films tarabiscotés qui laissent un arrière-goût à la fois d’incompréhension mais surtout, de fascination. Derrière ses intentions théoriques sur le libre arbitre et son montage visuel protéiforme, l’œuvre de Shane Carruth décèle une vraie force émotionnelle et une urgence de tous les instants, qui fait d’Upstream Color une histoire d’amour aussi intime qu’universelle.


Il est souvent délicat de se pencher sur une œuvre aussi labyrinthique qu’Upstream Color car la vérité et la distinction du vrai et du faux ne se trouvent pas forcément là où l’on croit. Sous couvert d’une expérience qui s’est mal passée, après la prise d’une substance parasitaire et animale, une jeune femme va devoir réapprendre à vivre et à retrouver des bribes de souvenirs dont elle a été dépossédée, avec l’aide de Jeff, qui lui-même semble avoir vécu la même mésaventure. Entre dépendance psychique et union mémorielle, amour et contusion, cette relation dépassera le cadre de la simple histoire d’amour.


De ce postulat un peu transversal, qui joue sur le film romantique et sur le film de contamination, Upstream Color avance à pas feutrés et dissimule dans son antre une vraie pulsation. Loin des carcans habituels des films de genre, Shane Carruth construit un film en puzzle, qui tend vers le poème à la Terrence Malick, et qui s’accroche à ses plans superposés les uns aux autres grâce à un montage à la fois musical (omniprésente) et visuel qui ne laisse pas la place à l’introspection, mais plutôt à l’imagination. La mise en scène de Shane Carruth, très aérienne et naturaliste, amplifie cette sensation de bulle d’air sensorielle. Les images se succèdent, rapidement, le récit lui semble parfois en retrait, sans jamais être dilué, les dialogues parfois se font rares et pourtant, Upstream Color contient cette puissance qui happe par cette capacité qu’à le réalisateur à filmer la chair triturée et l’esprit malmené.


L’exercice de style ne tourne jamais à vide dans Upstream Color, car au contraire, les idées visuelles s’avèrent ludiques. Cette superposition des plans, cette répétition des sons ou des scènes fruit d’une mémoire parcellaire, cette symétrie des actes qui tissent des liens entre eux, ajoutent au film une originalité qui n’est jamais méprisante. C’est sans doute cela la véritable force d’Upstream Color : celle d’incorporer ses velléités intellectuelles et métaphoriques sur la perception et sur l’identité avec de simples ressorts cinématographiques émotionnels. Car même si l’on se rend vite compte que le couple est dépassé par quelques choses de plus grand que lui, notamment à propos de cette phase du cycle biologique de la vie, entre la symbiose entre l’Homme et l’animal, l’architecture de la romance entre les deux personnes semble particulièrement limpide, dotée d’une vraie importance dramatique face aux chaines qui enferment les deux personnages.


Les jeux de regards, les discussions, les mensonges, marcher dans des ruelles, s’engueuler sur des souvenirs, s’embrasser, Upstream Color nous embarque dans une histoire d’amour qui émeut par son urgence et sa singularité. Même si le versant de science-fiction du film n’est jamais laissé de côté, avec cette connexion à cette fameuse substance psychotrope, Shane Carruth démontre aussi l’ambition d’élargir son champ d’action, dans le rapprochement qu’il fait de l’Homme à son environnement et cette contingence à vouloir faire cohabiter tout un écosystème.


Fait d’une amourette à la psychologie décalée de Punch Drunk Love (sans l’aspect comique de la chose) et d’une romance science fictionnelle qui marche sur plusieurs strates temporelles comme le film de Kristina Buozyte, Vanishing Waves, Upstream Color est aussi énigmatique que perceptible. Sans jamais aligner les poncifs, Shane Carruth façonne une exploration des sensations humaines assez passionnante. Parfois au bord du surréalisme, tel un test de Rorscharch, Upstream Color est un magma de bruits, de sons, d’images, de subconscient, qui se télescopent et qui s’agitent comme des satellites autour de leur système pour mieux imprégner l’imagination du spectateur.


Synopsis : Dans le terreau de certaines plantes se trouve une larve aux étranges vertus. Introduite dans l’organisme humain, elle permet de manipuler l’hôte inconscient de ce qui lui arrive. Victime de cette expérience, Kris se retrouve dépossédée de ses biens, et finalement de sa vie. Elle rencontre Jeff qui semble avoir vécu la même intoxication. Ensemble, il essaient de se réapproprier leurs souvenirs et de comprendre ce qui leur est arrivé.


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Velvetman
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le 26 sept. 2017

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