Il est quand même fort ce Jordan Peele.
C’est seulement son deuxième film après « Get Out » et pourtant on voit déjà se dégager de ses deux œuvres les marques saillantes d’un auteur aussi cohérent qu’efficace dans sa démarche.


Il ne suffit que de quelques minutes à cet « Us » pour imposer tout de suite ces évidences.
Aucune image n’apparait anodine, aucun effet n’est surappuyé.
L’impact du son, de la musique et du pouvoir iconique de certaines images apparaissent comme totalement maitrisés.
Jordan Peele sait exactement ce qu’il fait, où il va et il entend bien nous le montrer.


Et même si cet « Us » sait se démarquer de son prédécesseur en termes d’atmosphère, de personnages et d’intrigues, il nourrit malgré tout de nombreux points communs avec « Get Out ».
Plongée progressive et habile dans un monde d’angoisse.
Equilibre astucieux entre moments de tensions et personnages risibles qui viennent jouer leur rôle de désamorceur.
Art consommé d’un mystère à entretenir puis à résoudre.


Et je trouve même qu’on retrouve aussi dans cet « Us » une étrange énergie positive.
Comme dans « Get Out » – et contrairement à la plupart des films de ce genre – les héros ne se contentent pas simplement de subir afin que le film puisse se dérouler.
Au contraire, ils prennent rapidement l’initiative et participent à une sorte de défouloir dans lequel le spectateur peut se projeter…


Mais bon, au-delà de toutes ces qualités, pour moi ce qui fait vraiment la force d’un film de Jordan Peele – et cet « Us » est venu confirmer ce qu’on avait déjà pu voir dans « Get Out » – c’est cette remarquable capacité à construire toute son intrigue en une gigantesque métaphore sociale, parvenant à mettre des sensations sur ce qui, pour beaucoup, ne restent que des idées.


Dans « Get Out », la paranoïa de l’Américain noir à voir du racisme partout s’était habilement traduite au travers d’une intrigue de dépossession physique littérale des Noirs au profit des Blancs. Là, dans cet « Us », ce sont les violences de classes qui s’expriment au travers de cette révolte des « reliés ». Derrière chaque Américain qui profite de sa vie et de son confort s’en cache un autre qui subit les conséquences de ce mode de vie. Il est relié, esclave au service de l’autre. Il est le petit prolo qui s’agite en coulisse au service des bourgeois et de la middle class aisée. Il est l’invisible. Il est celui qui ne choisit pas. Celui qui souffre à la place des autres. Et pire que tout, il est celui qu’on ignore…
Et ce que je trouve remarquable dans cette métaphore, c’est que Jordan Peele parvient à traduire fort habilement toute la violence sociale qui se dégage dans le maintient de cet ordre établi. Lorsque la révolte rouge des déclassés sonne, on n’hésite pas à fracasser des crânes et à rouler sur l’ennemi, non pas seulement pour survivre, mais aussi pour maintenir sa position dominante et son confort de vie.
Et j’aime cette fin qui nous montre cette famille qui, après être passée par une épreuve assez incroyable de violence, en vient à poser comme finalité conclusive celle de continuer à vivre comme ils vivaient avant, comme si au fond il ne fallait tirer aucune remise en cause de ce qu’il venait tout juste de se passer. Et le fait qu’on nous pose à la fin l’héroïne comme étant l’ombre qui s’est substituée au sujet me semble être une idée tout simplement brillante. Les cartes sont soudainement troublées. L’héroïne était en fait une « méchante » – une ennemie – une prolétaire qui a fait usage de violence pour s’imposer parmi les nantis, ce qui la connote extrêmement négativement. Et pourtant, d’un autre côté, elle est celle qui s’est juste émancipée socialement et qui s’est juste contentée de jouer avec les règles imposées par le système, c’est-à-dire qu’elle a fait usage de la violence sociale pour avoir droit à sa part de paradis.
Le seul regard de l’enfant à la fin du film dit tout. Il a compris. Il a compris que dans cette histoire il n’y a pas des gentils et des méchants ; que la violence des uns n’était pas forcément plus légitime que celle des autres. Il a compris qu’il n’y avait pas « eux » et « nous », mais qu’il n’y avait en fait que du « nous ». « Nous, les Américains » comme le disait si justement Red lors de sa première apparition…


Alors après, c’est vrai que le problème de ce type de construction, c’est que si on se décide à regarder ce film au premier degré, l’intrigue peut parfois paraître tordue au risque même de rompre la suspension consentie d’incrédulité lors de certains moments de révélation.
De même, si d’un côté il se révèle très astucieux de garder l’essentiel des révélations pour le dernier quart d’heure du métrage, de l’autre je regrette malgré tout que certaines informations n’aient pas été plus dispersées en amont, notamment pour éviter ce cœur de film qui, bien que très efficace, se réduit quand même pour l’essentiel à du banal survival.


Mais bon, s’il y a des réserves à fournir au sujet de ce film, elles ne se limiteraient bien qu’à ces points là.
Pour le reste « Us » est encore une très belle proposition de cinéma.
Un film qui va indéniablement marquer son année.
Une petite claque qu’il serait bien dommage de louper…

lhomme-grenouille
8

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le 24 mars 2019

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