Premier film parlant de Carl Theodor Dreyer Vampyr demeure fidèle à l'exigence très prononcée de son auteur-réalisateur. Nébuleux, cryptique et tout en demi-teintes ce morceau filmique proche de l'abstraction nécessiterait presque une importante grille de lecture susceptible d'éclaircir son récit et ses nombreuses codifications scénographiques. Considéré par Dreyer lui-même comme étant un édifiant poème cinématographique Vampyr se situe donc à mi-chemin entre le rêve et l'éveil, conte ancestral de vampirisme et de cultes païens mêlés...
Arborant sa lumière étrangement diffuse, délitée presque ( Dreyer et son chef opérateur Rudolph Maté ont finalement opté pour l'évitement d'une photographie trop contrastée au sortir d'un tirage pelliculaire particulièrement voilé ) ledit film enchaîne des images contaminées de visions fantomatiques formées de surimpressions tout à fait modernes et novatrices pour l'époque ; en jouant sur les ombres dissociées de leurs matières et sur des surcadrages proches du vertige le cinéaste danois densifie sa mise en scène à chaque instant, allant même jusqu'à inventer la caméra subjective post-mortem au gré d'une séquence de funérailles menée à la manière d'un étrange rituel. C'est créatif, déroutant tout en demandant un certain effort de concentration de la part du spectateur...
Il faut donc accepter de ne pas tout cerner ni tout comprendre face à ce poème onirique et fantastique ultra-sophistiqué, et davantage se laisser porter par une réalisation jouant de ses motifs et autres symboles intrinsèques au mythe de la créature sanguinaire ayant également inspiré Dracula et Nosferatu de Murnau. On notera un gros bémol quant à l'utilisation très dispensable de la parole, tant ce Vampyr maîtrise la grammaire du cinéma muet au point de poursuivre la narration en intertitres dans le même mouvement de surcharge. Un beau film, aussi étrange que déconcertant.