Après s'être penché sur les fourneaux éminemment luxueux des Bras père et fils et avoir tenté de recueillir les subtiles exhalaisons de ce lien transgénérationnel, Paul Lacoste a souhaité, avec ce documentaire, se tourner vers l'humilité de ceux qui contribuent à l'élaboration du nectar recherché qu'est le vin. C'est ainsi que son dernier film se donne pour objet véritable les vendangeurs, plus encore que les "Vendanges" à proprement parler.


La première partie, essentiellement consacrée aux vendanges elles-mêmes, souffre d'une certaine lenteur, au cours de laquelle seuls se donnent véritablement à contempler les ciels de plus en plus chargés de nuages, surplombant des vignes qui se refusent à perdre leurs couleurs solaires. On ressent alors la vacuité des conversations, qui errent de sujets oiseux en vagues joutes faussement enjouées, tout juste pimentées par l'humour d'un garagiste particulièrement spirituel. Le réalisateur confie lui-même volontiers, en entretien, la difficulté qui fut la sienne pour faire oublier sa caméra parmi ces êtres humains, tous plus ou moins en rupture sociale, qui se conduisirent longtemps, vis-à-vis de son objectif, en petits insectes enfouissant leur dos sous les feuilles de vigne dès que l'objectif s'aventurait à pointer son nez.


Toute décantation étant mystérieuse, on s'émerveille d'autant plus devant l'évolution progressive du film, sa lente maturation et le sourd enrichissement de sa matière, à force de petits grains humains jetés dans la cuve à fermentation de ce creuset documentaire. Ce sont en effet les nombreux entretiens singuliers avec ces vendangeurs qui confèrent peu à peu au film toute sa charpente, dégagent toute la saveur infiniment émouvante de cette pâte humaine qui se livre ici sans fard, avouant échecs et rêves déçus, et confiant le bonheur de se retrouver de nouveau au sein d'un groupe, et au contact de la vigne. On en vient à éprouver une grande tendresse pour cette grappe humaine ainsi reformée et à partager détresse et amertume lorsque, à la fin de l'automne, tous ces petits grains se retrouvent épars, chacun dans sa grotte, sa forêt ou sa maisonnée, prenant conscience, au bout du compte, de la superficialité des liens, de l'inanité des conversations qui nous avait nous-mêmes heurtés, et de l'infinie solitude humaine.


Mais le film se clôt sans amertume car on sait, du moins, qu'un glaneur a tenté de recueillir l'irrémédiable singularité de ces vendangeurs, qu'il s'est approché d'eux, les sauvant du même coup de l'insignifiance.

AnneSchneider
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le 25 sept. 2016

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