Enlevé par la grande performance d'une troublante Isabelle Huppert, Violette Nozière est une intelligente partition sur le crime filmée d'une main de maître.


Chabrol, qui a perçu la dualité du jeu de sa future élégie dont la folie douce est l'apanage, l'illustre à merveille à travers un clair/obscur très soigné: à la pâleur d'un teint presque toujours maquillé, aux rougeurs de la femme séduisante et à la rousseur de ses cheveux s'opposent les lieux sombres fermés où elle agit secrètement (calèches, chambres d'hôtels de passe, ruelles), des vêtements noirs qu'elle porte à l'extérieur (ce remarquable béret à la mode style années 30 et son fidèle manteau à col de fourrure) et un regard qu'obscurcit le rimmel. À cela correspond la double vie que le personnage mène, celle du dedans (auprès de ses parents pour qui elle est encore innocente) et celle du dehors (où elle revêt une autre apparence, se grime, boit, fume et a une conduite peu vertueuse). De même, l’ambiguïté du portrait psychologique la caractérisant se traduit émotionnellement par la haine insensée de ses parents (qui, eux, l'aiment d'un amour filial pur) à rebours de son amour passionnel pour Jean Dabin (qui, lui, en homme intéressé, ne veut qu'assouvir ses besoins sexuels et matériels).


Cette image d'une fille Nozière double nous empêche de l'enfermer dans un type simple et nous impose la justesse de la nuance pour mieux embrasser la complexité du réel. Voilà dans ce film l'un des tours de force de Chabrol qui parvient à nous faire plonger dans l'intrigue, sans pour autant que nous nous identifiions à aucun des personnages principaux mais en nous mettant dans la position externe de juge - dès le début du film où apparaissent les premières incartades de la protagoniste (prostitution) jusqu'à la fin où se déroule littéralement le jugement de l'accusée - juge donc qui à tour de rôle l'acquitte ou la condamne, en fonction des analepses savamment présentées.


Relatant un fait divers ayant agité et divisé la France, dont P. Eluard qui en a fait une lecture poétique et psycho-analytique, Violette Nozière a la faculté de retranscrire cette effervescence d'alors et de nous mêler aux clameurs d'admiration ou aux cris de répulsion de la foule.

Marlon_B
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le 25 nov. 2016

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