Virus
6.6
Virus

Film de Kinji Fukasaku (1980)

復活の日 / Fukkatsu no Hi / Day of Resurrection (Kinji Fukasaku, Japon, 1980, 2h36)

‘’Fukkatsu no Hi’’, qui signifie ‘’Jour de la Renaissance’’, bien que le film fût exploité en France sous le titre ‘’Virus’’, bien plus sobre, mais aussi bien moins optimiste que l’évocation de son titre original, est une production japonaise des plus épiques, mise en scène par Kinji Fukasaku, l’une des légendes du septième art nippon.


Œuvre éminemment eschatologique, prenant très peu de pincettes pour proposer une vision radicale de la fin de notre monde, elle apparaît comme un véritable pamphlet visant la bêtise humaine, et sa tendance à vouloir se détruire par elle-même. Sur un ton très pessimiste, au cœur duquel réside un désespoir latent, le métrage se présente comme la métaphore d’une civilisation capitaliste en fin de course.


En pleine Guerre Froide, un accord est passé pour interdire les deux camps idéologiques de fabriquer des armes bactériologiques. Les Américains, ayant développés un virus particulièrement violent, le MM88 se le font usurper par les services secrets d’Allemagne de L’Est, qui décide d’en conserver une souche, au cas où.


Extrêmes contagieux, il condamne dans les trois jours quiconque l’attrape, sans possibilité de guérison puisqu’il n’existe pas de vaccin. Les autorités du bloc de l’Est décident de l’acheminer par avion, et là c’est le drame. Le véhicule se crash, le contenant du virus se brise, il est libéré dans l’air, et c’est le début de la fin. À cause du bloc de l’Est, bien entendu.


Le premier pays touché est l’Italie, qui en quelques jours compte des milliers de morts. Rapidement le monde surnomme ce nouveau virus, qui ressemble à une grosse grippe, la ‘’Grippe Italienne’’. Mais il ne faut que très peu de temps avant que le mal se propage à travers le monde, dégommant toute l’humanité en quelques mois. Résistant mal au froid, il épargne l’Antarctique où résident des équipes scientifiques de multiples nationalités. Alors que la population mondiale est rayée de la carte, ils deviennent le dernier bastion connu de l’humanité.


Alors que des milliards de cadavres jonchent les vestiges de la civilisation humaine, il ne reste en Antarctique que 863 âmes. Dès lors le propos principal de l’œuvre s’oriente sur la manière dont peut se réinventer une société, suite à l’Apocalypse. Naturellement ce sont les deux officiers les plus gradés, un Américain et un Russe, qui prennent les opérations en main, non sans susciter quelques tensions.


Rapidement se pose la question de la reproduction de l’espèce. Est-ce que l’humanité est foutue ? Où peut-elle saisir ce cataclysme pour repenser sa présence sur Terre, et en profiter pour se réinventer, s’offrant ainsi la perspective d’un nouveau départ ? Cela semble compliqué, tellement les survivants sont conditionnés par un style de vie, où tout repenser s’avère particulièrement laborieux.


À commencer par le fait que la civilisation humaine est majoritairement faite par les hommes. Le métrage vient ainsi questionner la place de la femme dans nos sociétés, par une démarche cauchemardesque, qui peut mettre vraiment mal à l’aise. Parmi les personnels présents dans les stations scientifiques en Antarctique il y a 855 hommes, pour 8 femmes.


L’inégalité des sexes pète alors à la gueule de tout le monde. D’autant plus qu’une des 8 femmes s’est faite agresser. C’est alors toute la nature humaine qui est interrogée, et son instinct, traduit comme un ‘’besoin’’ naturel. C’est ici un angle du métrage malaisant. Surtout dans la manière dont est traité le problème, rappelant le ‘’devoir’’ des femmes de servir à reproduire l’espèce.


Cette thématique vient rappeler la place de la femme dans la société de 1980, encore loin de la parité. Mais qui vu avec 40 ans d’écart illustre les grandes avancées qui ont eu lieu dans ce domaine. Kinji Fukasaku soulève ici un problème majeur dans les diverses peuplades de notre planète. Interrogeant intelligemment sur nos cultures, nos valeurs et nos traditions, par le prisme de l’oppression féminine par l’homme.


C’est là l’une des nombreuses thématiques qui parcours un film riche, jonchés d’arcs narratifs variés, sous couvert d’une mélancolie ambiante, véhiculant une atmosphère anxiogène, sombre et particulièrement pessimiste. Comme un constat d’échec d’une humanité complètement à l’ouest. Il vaut mieux être en forme avant de se lancer dans cette aventure, à éviter à tout prix en cas de déprime chronique ou de dépression massive.


Sorti en pleine Guerre Froide, ‘’Fukkatsu no Hi’’ laisse très peu de place à un quelconque espoir. Ancré dans l’actualité de l’époque, il évoque au début la signature d’un accord destiné à limiter les armes de natures bactériologiques. Ce qui fait directement référence à la ‘’Convention du l’Interdiction des Armes Biologiques ‘’ ratifiée par 109 pays signataires en 1972, et entrée en vigueur en 1975.


Cependant, même si c’est une œuvre particulièrement ancrée dans son temps, et que la Guerre Froide occupe une place centrale dans l’éradication de la population mondiale, les thématiques abordées sont cruellement restées d’actualité. Même si de nos jours la guerre idéologique a été remplacée par une guerre économique, livrée dans leurs coins nos ‘’puissants’’, les principales victimes restent les populations civiles, considérées périssables, remplaçables et dispensables.


Si le dollar a remplacé les bombes atomiques, la planète n’a pourtant jamais été autant mise en péril depuis les débuts de l’holocène, l’âge des Hommes, au XIXème siècle avec l’avènement de l’ère industriel. Sauf que les dollars ne se mangent pas, ils sont virtuels, et avec l’effondrement de la civilisation capitaliste, le seul impact apparent est le salut d’une planète qui peut à nouveau respirer, purifiée par la disparition des Hommes.


Il suffit pour se convaincre des bienfaits de la cessation de l’exploitation à outrance, d’observer les effets du confinement de 2020, dans le cadre de la pandémie de Covid-19. L’un de plus bel exemple se trouve à Venise, où les eaux de la lagune sont redevenues bleues, et même les poissons sont revenus. Du jamais vu depuis 75 ans.


Il serait important qu’un jour l’humanité comprenne que l’écologie ce n’est pas pour sauver la planète. Elle s’en fout complètement de notre passage, qui sera effacé en un rien de temps. En revanche, l’écologie permet aux êtres humains de mieux vivre, mieux respirer, qui pourraient dès lors envisager plus sereinement la reproduction de l’espèce en osmose avec son environnement.


Les humains sont des organismes, qui fonctionnent comme tels. Et le grand drame du capitalisme est d’avoir supprimé de l’équation sa nature ‘’animale’’, par un déni négationniste du darwinisme. Remplacée par des chiffres et des valeurs fictives, qui permettent d’asservir les peuples au bénéfice des desseins économiques de quelques individus, responsables de l’exploitation outrancière de notre environnement vital.


Une négation criminelle entraînant une évolution de l’espèce humaine devenue schizophrène. Toute la société étant basée sur la vacuité du virtuel, qui peut être remise brutalement en question, et en péril par du concret, du palpable, comme un virus. Une pandémie ça frappe partout et tout le monde, Ça se fiche du statut social ou du compte en banque. Et il existe des solutions pour anticiper, soigner et guérir. Mais ces moyens sont entre les mains de personnes malhonnêtes qui jouent avec l’existence des masses populaires.


Tout ça ne ressemble plus qu’à un lent mais énorme suicide organisé, venant d’une espèce qui aurait pu prendre le contrôle sur son destin, mais qui pour d’obscures questions dogmatiques, idéologiques où au nom d’une économie de marché croissante et compétitive, ne fait juste que se tirer une grosse balle dans le pied, tout en essayant de gagner un 100 mètre.


Le but de l’humanité n’est pas d’avoir la plus belle voiture, la meilleure télé, le polo à la mode, ou le smartphone dernier cri. Ce sont là des éléments qui endorment une espèce dont la modernité à lentement effacée la nature primaire. S’il n’existe pas de but concret prédéfinis pour l’humanité, le principal ne résiderait-il pas dans le fait de vivre une expérience inouïe ? Profiter des joies de l’existence, du bonheur de transmettre des savoirs et des cultures aux générations suivantes. Faire évoluer l’espèce et l’améliorer.


Or depuis des siècles ce qui se passe est que l’humanité fait du surplace, stagne, voir même, comme à l’heure actuellement, entre en régression. La faute à un capitalisme des plus sauvage, entrainant toute une civilisation mondiale vers un déclin annoncé. Un plan magnifique vers la fin de l’œuvre de Kinji Fukasaku montre un homme seul, marcher dans les ruines désertes du Machu Pichu. Symbole de la décadence de l’empire Inca,


Il est ici fait un parallèle très direct avec la chute de l’empire capitaliste. Qui dans ‘’Fukkatsu no Hi’’ se traduit par la disparition d’une humanité, réduite à moins de 1000 individus. Dont 8 femmes, car même face à l’Apocalypse ces dernières demeurent inégales. Pourtant, comme le pointe très pertinemment le film, les femmes sont indispensables à l’espèce. Ce qui vient appuyer encore plus l’absurdité de leur soumission au cœur de nos sociétés.


Très riche, il serait possible de disserter encore des pages et des pages sur les enseignements que livre humblement ce métrage, les réflexions abordées sont massives, et viennent interroger très directement notre propre folie. Avec ses 2h36 au compteur, il prend bien le temps d’élaguer un propos d’une grande simplicité, tout est très clair et d’une lucidité terrifiante.


Sur un ton extrêmement pessimiste, même cauchemardesque, l’urgence d’une extinction imminente, et le prisme du désespoir, font presque de ‘’Fukkatsu no Hi’’ un film d’Horreur. Même si, par quelques touches ici et là, il pointe des petits sursauts d’espoirs, naissant toujours d’une attention profondément humaine.


En résulte une œuvre forte, comme un pamphlet destiné à l’encontre d’une humanité qui fonce droit dans le mur, qui n’oublie jamais de faire preuve d’un humanisme légèrement candide, exprimé par un véritable cri du cœur. En tant que production japonaise elle convoque bien sûr les souvenirs traumatiques d’Hiroshima et Nagasaki, précédant le film de seulement 35 ans.


Encore très présent dans la mémoire nippone, ils permettent d’illustrer le seul mal auquel se livrent les exploitant de notre planète : l’éradication de l’espèce humaine, qui n’a pas besoin de virus pour foncer tout droit vers sa perte. Alors, ‘’Fukkatsu no Hi’’ est une œuvre qui fait peur, qui ose regarder frontalement l’Humanité, en prenant le parti pris audacieux de soutenir que la meilleure opportunité que peuvent saisir les Hommes est leur destruction partielle, afin de se reconstruire pour repenser ce que doit être sa propre nature. Car une fois les civilisations effondrées, il restera toujours l’espoir de revoir tranquillement le but d’une espèce vivant en rythme avec la nature. Tel que cela aurait toujours dû être.


-Stork._

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le 28 mars 2020

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