Peur sur la bile.
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Akira Kurosawa traite ici un sujet personnel : la peur de la bombe atomique, et de manière plus générale, un père qui veut sauver ses enfants de la menace nucléaire. Un thème louable, important pour l'humanité. La première séquence nous met d'abord en porte-faux, avec ces gens qui marchent comme des automates dans la rue, comme si rien ne les inquiétait : la société continue à fonctionner comme avant. Plus tard, nous rejoignons ce père, un riche vieillard joué avec intensité par Toshiro Mifune (vieilli pour l'occasion et méconnaissable), pris pour un fou par ses enfants. Ses réactions sont en effet disproportionnées par rapport à un comportement raisonnable : il veut absolument convaincre ses enfants de partir avec lui au Brésil, car il a peur d'être "assassiné" (le mot est important) par la bombe atomique (la meilleure scène selon moi : lorsqu'il prend un éclair pour une bombe et qu'il court s'abriter au-dessus de son petit-fils : un signe avant-coureur qui dément l'égoïsme qu'on lui attribue). Mais ces derniers ne sont pas d'accord, et font appel au tribunal familial pour le mettre sous tutelle, sous motif qu'il n'est plus en état de gérer ses affaires (en plus il a eu des précédents financiers pour les mêmes raisons). Ainsi, selon les apparences, les enfants ont raison, et le père a tort. Mais nous comprendrons plus tard que ce comportement excessif est la peur incarnée d'une menace bien réelle que la société japonaise ne prend pas au sérieux. Vers la fin, un médecin résume parfaitement cette logique-là : est-ce qu'il est réellement fou, ou est-ce nous qui sommes fous de rester ainsi impassibles ?
Malheureusement, le propos du film est pauvre, mal rythmé, tournant uniquement autour de la volonté d'une part, des enfants de rester au Japon, et d'autre part, du vieillard de partir au Brésil. L'unique tournant narratif est de montrer que ce dernier n'est pas si fou que ce qu'il paraît, et que les enfants veulent finalement profiter de lui (ils travaillent dans son usine) et de sa richesse. Ainsi, le seul intérêt du film, selon moi, mis à part le sujet respectable qu'il était important de traiter, est le personnage même de Mifune, incarnant la peur "elle-même", autant pour lui que pour les autres, révélant ainsi un humanisme trop grand pour lui - masqué derrière son apparence et son comportement insolites - qui le condamnera finalement, dans une fin très noire. Enfin, l'autre personnage important du film, le médiateur, a finalement peu d'intérêt, alors qu'il annonçait celui qui pouvait aller à la source de cette peur : il n'est qu'une accroche narrative, puisque c'est par son intermédiaire que nous rejoignons l'histoire principale, au tribunal que les enfants ont convoqué pour mettre leur père en tutelle. Malgré tout, il s'agit d'un beau sujet, mais plombé par un rythme inégal et qui aurait pu être traité selon moi en une heure sans trop en altérer le fond, qui n'est même pas rattrapé par la réalisation, somme toute assez banale (même la musique est off), centrée sur l'interprétation intense de Mifune.
Créée
le 26 avr. 2017
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