Ce film traite de la capacité de résistance et de survie d'une communauté de gens ordinaires confrontés à un désastre. Ce n'est donc pas un film sur la guerre mais sur ses conséquences sur l'individu et sa communauté.
La 1ere partie nous montre les deux jours qui précèdent le départ de Michael (Robert De Niro), Nick (Christopher Walken) et Steven (John Savage) pour le Vietnam : un mariage, ses préparatifs, les blagues de potaches, les heures à jouer au billard ou à boire entre amis, et une scène de chasse. Michael abat dignement un daim. La règle du "one shot" confère à la vie un sens supérieur. Après le Vietnam, cela s'inverse. Le sens du "one shot" donne la mort. Il ne parvient plus à tuer l'animal qu'il tient en joue. Cela marque l'incapacité à reprendre sa vie d'avant.
Michael Cimino nous fait éprouver pour ces trois personnages de l'empathie, on apprend à les connaître, on s'attache et tout ce qui leur arrive nous touche de près. Notamment au cours du mariage où des signes annonciateurs d'un futur très sombre nous sont distillés très subtilement : des gouttes de vin sur la robe de mariée, trois grandes photos en noir et blanc des futurs combattants ornent les murs. C'est l'hommage de la ville rendu aux hommes qui partent sur le front. Cela nous évoque une dimension plus sombre, celle d'une cérémonie funèbre. Un béret vert, unique étranger à faire irruption au cours du mariage. Il apparaît comme un présage. Le groupe d'amis essaie d'engager la conversation sans résultat. Aucun dialogue n'est possible entre eux. Le béret vert en uniforme sera le reflet de Michael lorsqu'il reviendra du Vietnam. Lui aussi en uniforme ne pourra plus communiquer avec ses amis "d'avant", d'où son incapacité à réintégrer la communauté.
Puis on passe en un raccord du bar où boivent joyeusement une bande d'amis à un champ de bataille asiatique où nos trois héros se retrouvent après des mois de guerre, l'ellipse brusque est à la fois temporelle et spatiale et nous plonge au coeur de la guerre, ce qui provoque de l'incompréhension, de la peur, de l'angoisse. Cette émotion est accentuée grâce à la mise en scène du réalisateur qui a tourné le film comme un home movie. L'expérience de la guerre est réduite à une poignée de scènes anthologiques : le lance-flamme, la roulette russe, le flot de réfugiés.
La roulette russe est une métaphore, qui résume l'enjeu primordial de toute guerre : vivre ou mourir.
Il y a une succession d'échos, de reprises, de symboles. Le film s'ouvre sur un mariage et s'achève par un enterrement.
Michael, leader du groupe, était un individualiste doté d'un charisme fédérateur. Mais son retour du Vietnam ne fait plus de lui un héros. Nick, quant à lui, était soucieux du groupe et de sa protection, les deux hommes se complètaient parfaitement. La tentative de Michael de reformer le groupe sera vaine. Il sera désormais privé de son alter égo et ne sera plus en mesure d'occuper à lui seul la place que jusque là ils occupaient à deux.
C'est une autre forme de survie qui intervient, celle d'une communauté confrontée à la perte des siens. Comment retrouver la force pour repartir ? Où puiser l'énergie ?
"Gold bless america" le rêve américain qui s'efface auquel les personnages continuent de se raccrocher, ce désir d'y croire à nouveau.
Mais le film s'achève sur une note d'espoir : "ce n'est pas un jour si gris"..

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le 5 oct. 2017

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Jim_Witt

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