Je voudrais par le biais de ce billet (c’est rigolo à dire tout haut) réhabiliter la traduction du titre du film " The Deer hunter".

(Du coup ça va spoiler méchamment parce que je parle d'un peu tout le film)

Voyage au bout de l'enfer, pour un titre film de guerre on peut se dire qu'il va forcément trouver sa légitimité. La guerre fait rarement dans la dentelle et dans la chirurgie. Mais non, mon bon monsieur, ce film n'est pas juste un pamphlet contre ou pour la guerre. Si nous replaçons son film dans son époque, la guerre du Vietnam s'est fini 4 ans tout juste avant la sortie du film. C'est ainsi un des premiers films à parler des conséquences physiques et psychologiques de la guerre, après "Le Retour" et avant " Apocalpyse Now" pour ne citer qu'eux.

Et l'enfer dans tout ça alors ? Vous noterez tout d'abord comme le feu découpe le film en 3 parties.
Il y a un Avant, Pendant et un Après.
La première fois, le feu se situe dans l'usine de sidérurgie où les protagonistes travaillent et manipulent le métal en fusion à la sueur de leur front sous la surface de la terre. Il n'y a aucune musique ni parole pendant quelques secondes. Le travail semble dangereux, dure, en un mot éprouvant.

Pourtant ce n'est pas ça l'enfer, c'est dure, mais la vie est simple, régulière. La vie s'écoule paisiblement, monotonement. Les ouvriers vont travailler, puis picolent, puis vont chasser, puis picolent, puis vont dormir, puis picolent et bis repetita placent.. La longue scène de début sert juste à contrebalancer cette première impression d'une vie sans rêve et sans avenir pour ses hommes et ses femmes. Ou même la violence envers celles-ci semblent accepter et même banaliser. (Le père de Linda la frappe et Stan frappe sa cavalière d'un solide coup de poing devant tout le monde sans que ça offusque grand monde mise à part ses potes)

Je dirais même que la scène dans l'église est là pour rappeler que même dans ses villes noires, peu avenante, Dieu a sa place et peut émouvoir et inspirer le plus abject des hommes. On retrouve d'ailleurs cette spiritualité lorsque Mick va chasser dans les montagnes. "Les montagnes sont les cathédrales de la Terre" écrivait John Ruskin ( 1819-1900). Si on voulait aller un peu plus loin dans la sacralité, le désir d'abattre les cerfs d'une et une seule balle peut s'apparenter à un simulacre de sacrifice rituel. Lorsqu’on sacrifie un animal sur un autel, on ne donne qu'un seul coup de couteau à la gorge. (Mais je vais là peut être un peu loin).
Tout le début du film est prétexte à prendre à contrepieds le spectateur peu habitué au monde rural et/ou ouvrier. Ces "Beaufs" qui se bourrent la gueule matin et soir, qui jouent au billard, regardent le football américain au bar en pariant sur qui gagnera, qui accrochent leur prise de chasse sur le capot de la voiture, beuglant, chantant et klaxonnant à tout va. Puis, ils rentrent dans le bar, s'aspergeant de bière, riant, chantant. Et le tenancier du bar se met au piano et commencent à jouer une nocturne de Chopin dans le silence clérical qu'impose et inspire pareil musique.

La scène suivante, le feu apparait de nouveau sous la forme de napalm déversé sur un village, un soldat vietnamien lance une grenade sous une trappe où s'étaient dissimulés les villageois. Une mère et son fils parvienne cependant à s'échapper pour se faire cribler de balle par le même soldat. Mick le tue au lance flamme. Des porcs semblent se disputer un bout de cadavre à demi-calcinés.
Là nous sommes en enfer, le vrai, le sordide. La cassure est si nette avec la nocturne de Chopin qui vient juste de se terminer que s'en est terrifiant. L'instant d'avant ils vivaient une vie dure mais qu'ils apprécient. (Nick fera d'ailleurs jurer à Mick de le ramener dans ce bled quoiqu'il en coûte)
Nick et Steven rejoignent ensuite Mick et se font tous capturer. La scène ultra connu et souvent parodié de la roulette russe (Mozinor : http://www.youtube.com/watch?v=CsbqrLmta5o ou Conflict Vietnam, mais je ne retrouve plus la vidéo. C'était une cinématique du jeu qui recopiait trait pour trait la scène du film) est pourtant très importante dans le récit. Mick révélait avant la partie de chasse que ça ne le dérangerait pas de mourir dans ses montagnes, d'une moment que cela soit que d'une seul balle. Pour rejoindre le fil rouge de ma critique, on arrive en enfer qu'une fois qu'on est mort. Dès lors, on n'a plus peur de mourir. Il force ainsi Nick à jouer contre lui à la roulette russe en demandant à ses tortionnaires de mettre 3 balles dans un barillet de 6. Ils parviennent miraculeusement à s'échapper mais Nick est séparé de Mick alors que Steve perds ses deux jambes.
Mick retourne ensuite seule au pays mais ses amis ne l'intéressent pas. Sans Nick ils ne le méritent pas.
On pourra d'ailleurs s'amuser de la ressemblance des deux prénoms de ses deux amis. La ressemblance ne s’arrête pas là. Ils aiment en secret la même femme et Mick aurait sacrifié son amour pour que Nick puisse en profiter. Ils aiment se retrouver seuls à la chasse, " dans la vitesse et le mouvement". Je vous arrête là, il n'y a à aucun moment un semblant d'allusion sexuelle, seul Stan l'idiot le plus beauf de la bande prends cette profonde amitié pour le fait que Mick est "pédé"("L'amitié c'est de l'amour avec le respect" Kant, qui devait être un sombre connard).Linda va même jusqu'à choisir d'aimer Mick parce qu'il est là alors qu'elle s'était promise à Nick avant de partir en guerre. Pour moi Nick et Mick sont deux parties d'une même personne, l'un est fougueux, insoucieux, nonchalant et inconscient de ce qui va arriver au Vietnam ; l'autre est froid, mesuré, parfaitement conscient de ce qu'implique le fait de donner la mort à un être vivant, il affirmera ainsi avant d'aller chasser à Stan l'idiot qui se balade avec un revolver " Une balle est une balle!".
Nick cherche ensuite son âme-frère dans la ville, jusqu'à tomber sur un bouge où des parties de roulette-russe se déroulent dans l'illégalité et le secret. Un petit papy français flaire en lui l'attrait morbide qu'éveille en lui la mort, ne plus ressentir la morsure que l'enfer a laissé sur sa peau. Nick rentre alors dans le bouge. Le spectateur découvre que Mick est également là, abasourdi par l'arrivée nouvelle de Nick. Nick prendra alors les sous des paris avant de s'enfuir dans la voiture du français qui lui promet " beaucoup d'argent". Mick ne parvient pas à rattraper la voiture laissant filer Nick vers une lente agonie.
Juste avant que Mick retourne au pays, on peut apercevoir encore une fois le feu de l’usine sidérurgique, cela augure la 3ème partie du film, le bout de l’enfer. Mick revient donc dans son bled couvert de médaille, couche avec Linda et part sauver ses deux amis de leur enfer intérieur. Mick revêt ici le vêtement de Jésus, le sauveur. Il cherche à sauver et à éloigner ses compagnons de la mort qui les suit inexorablement. Steve s'est reclus dans un hospice pour vétéran par honte de son état, mourant ainsi à petit feu. Mick le persuade de revenir habiter chez sa femme pour s'occuper de leur enfant.
Nick est resté au Vietnam, enchainant les "combats" de roulette russe, cherchant une mort qui ne veut pas de lui, fuyant la réalité, le vide intérieur qui siège en son sein par la drogue qu'il s'inocule et qui lui feront oublier jusqu'au visage de son âme-frère.
Quand Mick va le chercher, c'est un paysage d'apocalypse, les villageois sont jetés à l'eau par l'armée, les bâtisses sont en feu ou détruites, des cadavres de voitures siègent de-ci de-là. Il fait noir et Mick embarque avec le français sur une petite coquille de noix comme Orphée allant chercher Eurydice sur la frêle esquif du Passeur naviguant sur le Styx.
On sait ainsi que Nick est déjà mort, son enfer intérieur l'a consumé. Comme pour rejouer la scène du passé qui l'a rendu fou. Mick et Nick s'affronte à la roulette russe. Mick appuie sur la gachette prêt à sacrifier sa vie, son nouvel amour avec Linda pour sauver Nick. Clic fait le bruit du percuteur. L’arbitre tend le revolver à Nick qui machinalement met le revolver à sa tempe. Mick est au bord du nervous breakdown, il prend la main de Nick et remarque les nécroses qui courent le long des veines de l’avant-bras de Nick et comprend tout. Dans un sourire il lui rappelle ce que Nick appréciait dans les arbres de la montagne, il n’y en a pas un pareil. Nick se remémore en souriant ce souvenir d’une époque lointaine d’avant la guerre, d’avant l’enfer, d’un univers qui n’existe plus pour quelqu’un qui est mort depuis bien longtemps. Et dans le fracas assourdissant de la poudre, Nick s’effondre.

Mick rentre au pays avec la dépouille de son ami, son frère d’arme. Les amis se réunissent une dernière fois et picolent à la mémoire de Nick, et c’est ainsi sur cette dernière Cène que se finit le film.
Voyage au bout de l’enfer est un bon titre, l’enfer ce n’est pas la vie que nous vivons. Elle est dure, mais elle a ses petits plaisirs coupables, courir nu un soir de beuverie, faire le saut de la biche au milieu du vieux nice, boire jusqu’à en oublier pourquoi on en a bu, manger jusqu’à exploser, baiser jusqu’à imploser. Le bout de l’enfer, comme son nom l’indique c’est ce que chaque combattant vit après l’enfer de la guerre quand l’adrénaline ne grille plus chaque neurone de son cerveau, quand seule la survie importait et que le futur n’avait pas de visage.
Si parfois l’enfer appose sa marque sur les jambes disparues d’un guerrier, elle peut être plus sournoise et s’inséminer dans le cerveau ravagé d’un autre. Ce qui sauve Mick de cette folie finalement c’est de trouver une raison à son existence, quand Nick et Mick se croise dans le bouge de roulette-russe. Mick est sur la pente descendante, on peut se demander s’il n’avait pas croiser Nick au bon moment n’aurait-il pas lui aussi céder à l’envie de mourir qui le taraudait.

Définitivement, Voyage au bout de l’enfer est un bon titre. (bises kenshinou, y a que toi qui doit être arrivé jusque-là :p)
Johnutella
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le 31 déc. 2013

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Johnutella

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