Wall-E
7.7
Wall-E

Long-métrage d'animation de Andrew Stanton (2008)

Il me semblait nécessaire de revenir sur le fait que Wall-E est un putain de chef d'oeuvre.

Il serait d'ailleurs si simple de s'arrêter à " Wall-E est un putain de chef d'œuvre " et d'enchaîner de manière quasi-mécanique l'ensemble des qualités techniques et narratives du dit chef-d'œuvre.
Cela serait en effet simple mais également fastidieux (la liste serait fort longue) et surtout cela ne rendrait pas hommage à ce qui est pour moi bien plus qu'une simple réussite technique.
En effet, Wall-E transcende de loin l'ensemble de ses nombreuses qualités pour proposer une œuvre cohérente aussi bien dans l'histoire de son studio que de l'animation en général, réussissant de surcroît le tour de force d'être à la fois une œuvre politique et un pinacle d'émotion au niveau le plus individuel.
En résumé : Wall-E ça poutre grave et je vais vous expliquer pourquoi en long, en (buy'n')large et en travers.


1/ Space is the final fun-tier

Andrew Stanton, le réalisateur de WALL-E, est l'un des membres fondateurs de Pixar (pour être précis il est arrivé là bas en tant que neuvième employé). Si l'histoire retiendra sûrement (et à juste titre) Lasseter comme leader de Pixar , l'aspect convivial du studio et l'étroite collaboration entre ses membres a laissé des opportunités d'intégration diverses. C'est ainsi que Brad Bird, fraichement arrivé, est déjà l'un des plus impliqué dans les derniers films estampillé du logo à la lampe de bureau.
La position de Stanton, bien que plus discrète, est essentielle dans l'aventure Pixar : scénariste sur 6 films, réalisateur sur 3, producteur executif de 2 films, voix de personnages (dont Zurg dans Toy story 2)...
En fait il serait limite plus simple de dire qu'à part Cars, les Indestructibles et Ratatouille, Stanton a eu un rôle important (voire majeur) dans l'intégralité de la production Pixar jusqu'ici. On gardera néanmoins en tête que si Wall-E est son premier film en tant que réalisateur solo, il était le principal créateur de Finding Nemo auquel on pourra donc se référer par la suite en guise de point de comparaison.


Et il est d'ailleurs notable que ce soit lui qui est derrière Le monde de Nemo. En effet Nemo avait été pour moi une déception mineure à l'époque car j'en attendais autre chose. J'en attendais un produit formaté, beaucoup plus proche du reste de la production occidentale actuelle.
Du coup il y a eu de ma part une légère déception car je navais pas encore remarqué que le film de Stanton était le premier pas de Pixar et de l'ensemble du cinéma d'animation occidental pour la reconquête de l'intégralité de la palette possible des sentiments procurés par le cinéma.

Car l'équation était devenue plus que simple, elle était devenue simpliste : un film d'animation, un dessin animé, c'était forcément une bande de personnages hauts en couleurs (en général des animaux qui parlent, mignons à en filer des hyperglycémies), un léger parcours initiatique du héros (qui s'ouvre sur le monde et les autres, snif.), et surtout une pléthore de gags à un rythme soutenu (surtout pas de place à la réflexion !).
Limite l'animation qui est à la base un mode de production cinématographique ouvrant autant de portes que la prise de vue classique était devenu pour les studios américains un sous genre de la comédie.
Et donc Nemo avait commencé à changer cet état de fait ...oh, avant il y avait bien eu Le Geant de fer de Brad Bird (pas encore passé chez Pixar à l'époque) ou Titan AE qui avaient tentés des incursions hors de la comédie mais pour quelle réussite ? surtout lorsqu'on les compare au carton planétaire du film qui parle baAaleIIine.



Et Wall-E est donc le fer de lance de ce mouvement qui est une reconquête. Si du côté de l'Asie, l'animation n'a jamais été synonyme de comédie (c'est même assez rare qu'un long métrage d'animation japonais soit une comédie en fait), c'était également le cas en occident à la base.
Si, si, il y a eu une époque (qui commence à s'avérer lointaine) où les dessins animés n'étaient pas forcément des comédies....ou alors Bambi est d'un humour assez noir qu'il faudra m'expliquer.
Et donc après des années d'errance il est assez logique que ce soit Pixar (ceux qui ont importés le studio Ghibli de Myiazaki et Takahata aux US) qui retrouve le chemin du Cinéma avec tout ce que cela implique comme histoires variées et comme genre différents. Et donc après un Finding Nemo qui faisait de la quête initiatique le centre du récit (dans ce qui était au bout du compte un road movie sans route), et 3 oeuvres du studio qui laissaient peu de place à la comédie à part entière, Stanton revient avec Wall-E pour démontrer que le cinéma d'animation est avant tout du cinéma.
(Voire que le cinéma est avant tout du cinéma d'animation ?)

Et donc, cette année, après un film d'héroic-fantasy (l'aérien et bonne surprise des frenchies Chasseurs de Dragons) et un film de karaté (Kung-fu Panda, qui aurait gagné à couper les liens avec l'aspect "bande d'animaux et parcours initiatique" vu que ça mis à part c'était quand même 'achment bien), Wall-E arrive pour clore de manière définitive une page de l'animation : c'est un film drôle mais ce n'est pas une comédie, ça se passe dans le futur mais ce n'est pas que de la SF, c'est émouvant mais ce n'est pas un drame, c'est politique mais pas didactique, c'est fun, c'est profond, c'est beau.


2/ Eeeee... va?


Parce que putain qu'est ce que c'est beau. Wall-E est (désolé mais je craque) au niveau technique d'une puissance à couper le souffle : non seulement les détails sont tout simplement hallucinants mais en plus ce n'est pas dans une démarche de surenchère car il y a une réflexion profonde sur comment filmer un film d'animation.
Wall-E n'est pas en effet un film moderne, clinquant, brillant : c'est un film qui fait écho à un de ses messages en étant à la fois un film du futur et un film du passé, tiraillé entre 2 époques, il ne se débat pas mais il accepte chacun des 2 éléments qui lui donnent le meilleur d'eux même.

C'est ainsi qu'on a à la fois une prouesse de chaque instant (jusque dans des mouvements de caméra à couper le souffle) et qu'on a également une image "dégradée" sciemment pour qu'il y ai un premier plan et un arrière plan avec une mise au point de faite (voire qui changera à l'intérieur même d'un plan). C'est au niveau philosophique du cinéma un sacré pied de nez à la course effréné à la HD et à l'absence de regard porté sur l'image qui est devenu une plaie de la trop grande qualité plastique des films.
Ici, la caméra, l'œil du réalisateur, existe plus que dans bon nombre de films en prise de vues réelles en fait.

Et ce n'est pas spécialement étonnant lorsqu'on voit à quel point Wall-E fait référence au cinéma de manière directe ou indirecte. Le film Hello Dolly (1969) est cité explicitement comme étant la référence de Wall-e en matière de parade amoureuse tandis que HAL et la musique de 2001, l'Odyssée de l'espace (1968) auront été reconnu assez facilement par l'audience.
Le fait que les deux films n'aient que quelques mois d'écart ne semble pas innocent...par contre est-ce à mettre en parallèle avec la date de naissance de Stanton (décembre 1965) ? La conquête de l'espace ? ou tout autre chose de moins visible ?
En fait peu importe : ce qui reste comme sentiment c'est que le film est un film ancré dans le passé avec une certaine nostalgie de celui-ci. Il suffit de voir Wall-e regarder une VHS d'un film pour être projeté dans notre passé.



Mais on se fait avoir. Et en beauté en fait. Car en réalité Wall-E est tout sauf un film passéiste mais est bel et bien un film résolument moderne. Car cet attachement à notre passé est une donnée importante de notre époque. Nous avons passé l'âge d'or, nous sommes à un moment où les progrès techniques à venir (présents dans WallE) sont aussi attractifs qu'effrayants et où le passé a donc un aspect rassurant.
C'est dans ce passé rassurant que Wall-E se tourne, ainsi que les autres personnages du film...tout en étant conscients que ce passé est révolu et qu'il faut construire quelque chose de neuf.

Dans la même veine, le tchoupi Wall-e est une personnification de l'homme moderne. Romantique jusqu'au bout des chenilles, Wall-e ne sait pas trop comment se comporter avec Eve, femme forte, indépendante, qui a un travail à responsabilités. Alors, Wall-e, un peu geek sur les bords (il a 700 ans et n'a jamais eu de petite amie et il collectionne les trucs inutiles), la drague en la faisant rire, en partageant ses passions, en étant romantique dans une époque qui ne l'est plus.
Et là où le film est un peu de la science-fiction, mais surtout un film particulièrement émouvant, c'est que ça se met à marcher petit à petit. Comme dans un manga (on verra d'ailleurs les liens étroits entretenus avec le Japon par l'œuvre dans la prochaine partie de la critique) où un simple baiser sur les lèvres à valeur d'achèvement amoureux, ici Wall-E veut prendre la main d'Eve. Et de se simple geste va découler toute une parade amoureuse complexe qui n'est pas sans rappeler les comédies romantiques de l'Age d'Or hollywoodien.
Mais là où le personnage féminin était le centre de la romance, ici (comme dans les mangas et comme pas mal de situation modernes) c'est le personnage masculin qui est moteur de la romance, qui la désire et qui fait tout pour la faire avancer.



Et d'ailleurs Wall-e n'est pas un héros au sens propre du terme. Il est certes le personnage principal et il fait des actes héroïques...mais absolument pas dans un but de "prendre sa destinée en main", "devenir courageux" ou "sauver le monde".
Non. Il veut plaire à Eve, fait tout pour la suivre, pour qu'elle soit heureuse et aimerait bien survivre. Mais sortie de ces considérations et du fait que Wall-E est fondamentalement gentil, il ne cherche pas à sauver le monde au péril de sa vie. Ce qui en fait au passage du coup un personnage bien plus proche de nous qu'un super héros altruiste.
On est tous un peu Wall-E.


3/ Try blue, it's the new red!

Wall-E de plus (j'ai failli dire "enfin" mais le film est bien plus riche que cela) est aussi en quelque sorte pour moi une sorte de troisième volet d'un triptyque que l'on pourrait intituler " le film populaire chefd'oeuvrasimal en tant que vecteur d'apprentissage et de propagande des idéologies anarchistes et écologistes".
Ouais. Rien que ça.
(Mais bon j'ai des fois l'impression d'être une personne un peu bizarre. Des fois.)
En effet, après Pompoko et Fight Club, Wall-E est le troisième film à bénéficier d'une large audience et à dans le même temps développer de manière assez frontale un héros qui est le vecteur d'idées particulièrement violentes envers la société de consommation.
En effet, Wall-E et Pompoko sont deux des films les plus violemment écologiques sortis ces dernières années tandis que Fight Club et le Pixar entretiennent des liens assez étroits avec les idées anarchistes.

[Alerte maximum spoilers sur Fight Club et Pompoko, passez votre chemin si vous n'avez pas vu les films]

Dans les 3 films le personnage principal a une existence particulière à mi-chemin entre l'individualisme forcené et la déshumanisation la plus totale. Wall-e est le seul survivant de son espèce et le seul à avoir développé une conscience mais il est un modèle courant, produit à grande échelle. Edward Norton lui n'a pas de nom, il existe en creux, mais il est également le leader charismatique d'une organisation terroriste sous le nom de Tyler Durden. Enfin chez les Tanukis, il y a bien un personnage principal marqué et qui en plus sert de narrateur (tout comme dans Fight Club), mais il est plus ou moins perdu dans la masse des bestioles qui (sans racisme interespèces) se ressemblent tout de même tous fortement.


On a donc des héros auxquels on peut s'identifier mais qui portent en eux la croix de l'indifférence, de la perte dans la masse, de -et là c'est Wall-E qui le représente le mieux- l'individu manufacturé, produit de consommation.
Nous ne sommes qu'un rouage d'une machine plus grande visant à produire des meubles Ikeas, à acheter en grandes quantités (Buy'n'large) et ce sans penser aux lendemains ou à la nature.


Les films tentent d'apporter des réponses, des solutions à cette situation. Il y a une progression entre les 3 œuvres : Pompoko propose d'aller jusqu'au terrorisme et se termine sur un constat d'échec (la société a gagné), Fight Club propose le même modus operandi et se termine sur l'éradication de la société en posant la question du "et après ?". Wall-e est un peu différent : se plaçant dans les avatars résiduels de la société de consommation, sa proposition d'anarchisme passif débouche sur une nouvelle société basée sur un développement durable.
On pourrait y voir un changement progressif des mentalités en une quinzaine d'année (de 1994 à 2009) mais il est beaucoup plus crédible d'y voir des constats différents, suivant la sensibilité des réalisateurs et scénaristes des films.


Cependant ils ont ceci en commun d'être relativement désespérants : la conclusion de Pompoko (les vrais animaux meurent pour de vrai sans aucune solution magique) assénée face caméra est glaçante, Fight Club déclare en substance que la seule solution est de bazarder le système et d'espérer qu'on arrive derrière à construire quelque chose de valable, et même l'optimiste Wall-e parle d'une transition de 700 ans durant laquelle la Terre ravagée se remet des blessures qu'on lui a infligée par excès de consumérisme.
Malgré tout cela l'espoir est aussi présent, évitant ainsi tout manichéisme ou un fatalisme forcené façon punk sur le retour.


Les 3 films mis bout à bout forment une espèce de triangle où chacun renvoie à son voisin par divers aspect.
La vision des 3 à la suite doit faire l'effet d'un meeting politique alter mondialiste.
Mais avec le fun en plus, les immeubles qui explosent, des tirs de lasers et des esprits qui paradent dans la rue.
Mais surtout c'est se manger 3 méchantes claques dans la tête.
Tentez le slapbet.
Vous n'en ressortirez pas indemne.

PS : par contre derrière regardez un Chuck Norris ou un épisode de Julie Lescaut. Si vous voyez un film juste excellent il vous semblerait tout pourri de toute façon.


Conlusion :

Wall-E est un tournant dans l'histoire de l'animation (couronné par un oscar du meilleur film d'animation mais aussi et surtout par une nomination au meilleur scénario face aux films live -comme Ratatouille-). Il ne marque pas une révolution technique mais bel et bien un nouveau cran qualitatif qui tire l'intégralité de la production vers le haut : grande histoire romantique, film violemment politique, beauté plastique fondamental, ce film de robots si humains n'oublie pas les primates.


Il suffit de voir cette scène où le Capitaine prend son destin en mains, dupe l'Autopilot avant de se dresser (littéralement) contre lui.On a pas à suivre les "directives" (message anar) pour sauver la planète (message écolo) on a qu'à suivre son cœur (message romantique).

Le message est humaniste au possible : on a merdé, on est en train de flinguer notre planète, de se laisser aller en profitant de ce que la société de consommation à nous offrir sans réfléchir aux conséquences, mais, putain, les choses trop belles doivent être préservées, et c'est à nous de nous battre pour ça, c'est à nous de décider de ce qu'on fait de notre futur.
Adinaieros
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le 11 oct. 2010

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Adinaieros

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