Wall-E
7.7
Wall-E

Long-métrage d'animation de Andrew Stanton (2008)

Le précédent film des studios Pixar (Ratatouille) présentait un paradoxe intéressant. Alors qu'au fil des années les californiens s'étaient forgées une solide réputation technique renforcée par les miracles d'un management novateur, le film déployait une mécanique quasi-régressive en célébrant le rustique et le savoir-vivre jusqu'à l'élaboration d'une ratatouille "madeleine de Proust" face à laquelle le plus blasé des critiques gastronomique ne pouvait que fondre. Le contraste était alors saisissant entre la douce simplicité culinaire et la force de calcul nécessaire à sa production en pixels.

Relever un tel paradoxe, c'est déjà présumer que les super-calculateurs n'ont pas d'âme ; or c'est précisément cette affirmation qui est remise en cause dans WALL-E, film de science-fiction hors norme qui procède à ce que Pixar sait faire de mieux : donner vie à ce que l'on croit inerte... animer.

WALL-E, le petit robot qui donne son nom au film, est seul sur terre. Conçu pour ramasser et compacter les ordures il mène sa routine depuis quelques centaines d'années. Issu d'une série à grande échelle — la masse considérable de déchets et les panneaux géants faisant la promotion du produit révolutionnaire qu'il était lors de son lancement en témoignent — WALL-E tire sa singularité de sa solitude. Si les scènes d'exposition rappellent beaucoup celles de Je suis une légende, elles le surpassent largement. En effet, si Will Smith abordait son personnage sur le mode de la survie, animé par un but — la mise au point d'un remède — qui lui permettait de ne pas succomber au désespoir, la posture psychologique de WALL-E est inversée et ouvre des horizons totalement neufs. Le robot n'existe que par sa fonction et le temps n'a pas d'effet sur lui. Imperceptiblement toutefois, WALL-E se construit un affect, livré à l'éternité il s'ouvre à la conscience et peu à peu délaisse sa fonction au profit de la collection d'objets en tout genre et de l'exploration.

Au fil des années WALL-E a récolté une multitude d'objets qu'il classe soigneusement dans le module où il passe ses nuits. Comme souvent chez Pixar, le film est prétexte à milles inventions exploitant le décalage entre le monde des hommes et celui du film. Ici la valeur des objets est renversée et les découvertes intriguées qu'en fait WALL-E les couvre de poésie. Car il semble bien s'agir, à travers le regard naïf de ce petit robot d'une redécouverte du paradis terrestre. Les ruines post-apocalyptiques auxquelles nous ont habitué les films de science-fiction recèlent ici un potentiel formidable et la Terre donnée pour morte se révèle être le terrain gigantesque d'un nouveau possible.

L'optimisme véhiculé par l'éventualité de la renaissance n'emporte pas pour autant le morceau, car le film, en véritable oeuvre d'anticipation, se distingue avant tout par sa noirceur. Terrible constat de ce que les hommes vont devenir s'ils s'entêtent dans la surconsommation, terrible leçon que cette redécouverte de l'amour... par les robots ! Le scénario de WALL-E fonctionne ainsi à revers ; en adoptant le point de vue étranger du robot, l'homme est montré dans toute l'absurdité de sa fonction : un pur agent de consommation. Sans doute la plus belle idée de Pixar depuis la psychose des enfants "toxiques" de Monstre & Cie.

Le discours moral et politique du film est donc tout à fait central. Il s'agit à la fois de mettre en évidence les absurdités de la société de consommation — ce qui peut paraître assez cynique quand on connaît la politique du groupe Disney en matière de produits dérivés —, mais aussi d'en dévoiler les risques. Sur ce point, WALL-E peut rappeler Phénomènes. Dans les deux films, l'humanité a dépassé un point de non retour et il n'y a que l'amour qui, à défaut de triompher, puisse valoir la peine.

Cet enseignement ce ne sont pas les hommes légumifiés de WALL-E qui le donnent mais bien le petit robot qui ne rêve que de ça, s'éveiller à l'amour. Un tel miracle sera possible grâce à la rencontre de Eve, robot aux allures féminines, de passage sur Terre à la recherche d'une trace de vie. La rencontre avec Eve a deux impacts majeurs. D'abord elle fait basculer WALL-E qu'on connaissait déjà fleur bleue dans la réalité d'un amour, ensuite elle rompt le mutisme du film en instaurant le besoin de communication. Les fonctions limitées de WALL-E ne lui permettront pas de dire quoi que ce soit d'autre que son nom — s'affirmant ainsi définitivement comme un personnage à part entière, singularisé de la chaîne de production dont il est issu — mais cette étape marquera l'entrée du film dans le langage. Blockbuster quasiment muet, WALL-E est clairement coupé en deux. Il y a d'abord le silence de la solitude, celui ou l'acte muet est un mime de la pensée, puis arrive le temps du silence des corps où la communication nécessaire transite par les gestes.

Par ses 20 premières minutes de muet magistral, WALL-E s'inscrit de plein pied dans la cinéphilie. On pense à Keaton, Chaplin, Murnau, Lang ou Melies et puis, dans sa seconde partie, c'est l'ombre de 2001 : l'odyssée de l'espace qui recouvre tout. Il est d'ailleurs assez troublant de regarder en arrière, 40 ans après la sortie de l'oeuvre de Kubrick et passé la date anticipée qui, on le sait a été marqué par un traumatisme bien différent. Il est troublant de constater que l'os lancé en l'air par les singes de 2001 tourne encore, et que les émotions sur circuit imprimées de HAL s'affichent aujourd'hui en pixels dans l'animation gracieuse de robots de mauvaise augure mais toujours prêts à nous réapprendre l'amour. Il est troublant enfin de se dire que pendant un peu moins de deux heures il n'y aura pour le spectateur qu'un monolithe à contempler avec fascination : le cinéma.
IMtheRookie
9
Écrit par

Créée

le 9 nov. 2010

Critique lue 749 fois

17 j'aime

IMtheRookie

Écrit par

Critique lue 749 fois

17

D'autres avis sur Wall-E

Wall-E
MrShuffle
9

Critique à plusiseurs

Ecrit avec Babymelaw et d'autres gens qui sont pas là. Un début grandiose, à la fois apocalyptique et émouvant, qui nous touche en plein coeur. Wall-E est un robot aux allures d'enfant, seul sur une...

le 15 juil. 2010

87 j'aime

7

Wall-E
Embrouille
9

Critique de Wall-E par Embrouille

Wall-E, c'est l'histoire d'un petit robot, chargé de nettoyer la Terre, qui rencontre un autre petit robot, Ève. Je dois dire que j'ai été subjugué par ce film. Toute la première partie, qui se passe...

le 5 juil. 2012

85 j'aime

3

Wall-E
zombiraptor
9

Sauvez Wall-E

Putain, y a un Pixar que j'ai adoré... j'en reviens pas moi même... Wall-E est un film qui se passe glorieusement de tout ce que je déteste en général chez les longs métrages de ce studio. Pas de...

le 16 nov. 2013

76 j'aime

27

Du même critique

Les Petits Mouchoirs
IMtheRookie
3

Enterrement du cinéma français

Après le vaguement drôle / vaguement weird Mon Idole, Guillaume Canet avait fait la démonstration d'un vrai sens de la mise en scène dans Ne le dis à personne. Malgré un François Cluzet comme...

le 25 oct. 2010

157 j'aime

31

La Graine et le Mulet
IMtheRookie
10

Parce qu'il faut courir

Certains films tiennent du miracle. Sous couvert de réalisme social et malgré une mise en scène faussement en retrait ils donnent à voir un réel bien familier, mais transcendé par le cinéma et ses...

le 5 mars 2010

50 j'aime

5

Unstoppable
IMtheRookie
8

Le travelling ressuscité

Au commencement était le train. À sa sortie, l'un des tous premiers films de l'histoire du cinéma : L'Arrivée d'un train en gare de la Ciotat avait terrifié ses spectateurs : « Ce court métrage a eu...

le 22 nov. 2010

17 j'aime

5