Difficile de critiquer objectivement Waves sans rentrer dans les détails. Cette critique est à éviter si vous n'avez pas vu le film et si vous voulez le découvrir pleinement. Car revenir sur ce qui m'a touché et plu dans cette histoire n'est possible qu'en faisant la lumière sur un récit simple mais pourtant riche.

Il m'a fallu être encore une fois séduit par Trey Edward Schults pour me rendre compte, après 3 films, que le microcosme familial était au cœur de ses œuvres. Si le propos était évident dans son premier film, Krisha, il ne m'est apparu que rétrospectivement pour It comes at night, après le visionnage de sa troisième livraison Waves. Une chronologie à rebours des âges de la vie puisqu'après la tentative de rédemption d'une personne âgée et la surprotection d'un père quarantenaire, c'est une jeunesse gonflée par les possibilités qui se dévoile à nos yeux.

C'est dans un tournoiement perpétuel que Tyler, jeune afro-américain, nous est présenté, tout en légèreté et en euphorie sous le soleil de Miami. Souriant, chantant, sa petite amie à ses côtés, il se dégage de ce moment somme toute banale, un bien-être et une volonté sans faille de profiter de la vie.
Dès cette introduction rythmée et léchée à l'imagerie presque trop belle, Trey Edward Schults réussit, en quelques mouvements incessants de caméra, à nous décrire Tyler, sa vie effrénée et presque trop parfaite. Beau, gentil, sportif, pianiste, épanoui, ses amis, ses parents, sa petite amie, son cadre de vie, le sport, la lutte dans laquelle il semble placer tous ses espoirs et qui lui crie haut et fort l'invincibilité de sa jeunesse. Tout semble lui sourire, parfait "quaterback" des comédies lycéennes américaines qu'il est. Mais ce ciel bleu presque artificiel à perte de vue ne peut pas durer. Ce quotidien fait de victoires ne peut être que temporaire et c'est par la relation qu'il entretient avec son père, lors de brefs échanges illustrant une paternité aimante mais exigeante que naissent doucement les vagues qui s'amplifieront avant de venir s'écraser sur le rivage.

Car sous son rendu édulcoré baigné de couleurs vives et passé au lense flare, derrière cette bande originale atmosphérique, suintement des émotions des personnages à travers leur peau, Waves est avant tout un drame, un drame aussi visuellement accrocheur que destructeur qui va se jouer en 2 mouvements dans une narration fluide mais surprenante.

Doucement, au fil d'évènements qui viennent émailler le récit et écailler le vernis de son existence, on assiste à la perte de repères de Tyler qui ne sait pas où trouver l'aide dont il aurait besoin.
Et c'est une blessure physique qui va venir ébranler toutes les certitudes du jeune homme pour mettre en exergue la pression jusqu'alors supportable de sa relation avec son père. Ce sont des mots incitant perpétuellement à l'excellence mais aussi des regards durs face à la douleur, c'est une empathie complètement étouffée, des encouragements absents dans la défaite qui mettent le film sur les rails d'un chaos intérieur jusqu'à l'irréparable. La montée est progressive, maîtrisée et on sait qu'elle n'aboutira sur rien de bon. Le monde de Tyler se disloque et il ne fait que lui emboîter le pas. Il rumine, encaisse, refoule, cache et s'isole avec le sentiment préalablement suggéré de n'avoir personne sur qui compter. Et lentement, lesté de la peur de décevoir, le cadre familial initialement si bienveillant devient pour lui une cellule dans laquelle il se mure.
Ce qui est perdu l'est définitivement.
Sur fond de liesse, alors que le bal de promo si représentatif du système scolaire américain fait rage, ce qui aurait du être l'apogée d'une année parfaite pour lui devient le catalyseur de toutes ses désillusions.
Le film atteint alors un premier pic après une longue séquence qu'on pourrait qualifier de course poursuite veine entre une famille et un inévitable dérapage. La chute est impitoyable et glaçante, presque irréelle sous les lumières floues des gyrophares. Le procès qui s'en suit ne se limitera qu'à la sentence, piège tendu par Schults qui fait fit, à l'image de son personnage, de tous ce à quoi nous venons d'assister. La détresse de Tyler, les responsabilités de son entourage, les circonstances qui aurait pu servir à sa défense, tout est abandonné pour un verdict assomant. La détresse de sa famille, de sa belle-mère particulièrement, nous prend aux trippes au son de ces râles de douleur. Et ce qui sonne comme une conclusion n'est finalement que le début de ce deuxième mouvement consacré cette fois à la timide et jusqu'ici effacée sœur de Tyler.

Car après l'acte, ce sont ses conséquences sur une famille brisée et ses membres qui vont s'exprimer à travers les yeux et le visage fermé et mutique d'Emily. Comme Kelvin Harrisson Jr. qui incarne son frère, l'actrice Taylor Russell McKenzie nous offre une partition toute en nuances pour faire perdurer le climat pesant avant de s'en affranchir doucement. Gérant à sa façon les répercussions de l'acte de son aîné, elle s'emmure à son tour et l'étau qui nous restreint peine à se desserrer. Les évènements précédents, couplés à une atmosphère rancunière et haineuse en scroll infini nous empêchent de croire pleinement en un après faisant fi de tout ce à quoi nous venons d'assister, comme si une fois au fond, la seule option était d'y rester.
Pourtant, comme elle, au rythme de ses choix et des circonstances, au rythme de ces vagues imprévues, on va reprendre peu à peu confiance, la caméra tournant de nouveau comme pour nous affirmer que oui, on a retrouvé l'état de bien être du début. La boucle et bouclée et même si le final s'avère un peu plus téléphoné, il n'en reste pas moins nécessaire pour finir de colmater les failles.

Et au bout de ces 2h15, nous voilà séduit. Sous sa virtuosité narrative et sa plastique léchée, pour une histoire finalement simple, Waves puise sa force dans ce qu'il nous fait ressentir et dans la manière dont il nous prend doucement au piège de nos multiples émotions. Trey Edward Schults affirme en trois temps qu'il est un réalisateur que j'attendrais impatiemment car après m'avoir touché, puis fait frémir, il réussit à m'émouvoir au travers des événements traversés par ses personnages. Un beau film tant sur le fond que sur la forme qui vous entraîne vers les abysses avant de vous ramener difficilement à la lumière.

RicowRay
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2020, Les meilleurs films sur l'adolescence, Les meilleurs films sur les relations humaines et Les meilleurs films A24

Créée

le 20 mai 2023

Critique lue 101 fois

RicowRay

Écrit par

Critique lue 101 fois

D'autres avis sur Waves

Waves
Frédéric_Perrinot
10

L'éveil d'une génération (Spoilers)

Jeune cinéaste prometteur, Trey Edward Shults s'est imposé en 3 films comme un fin observateur générationnel où il explore l'impact de leurs dérives sur la cellule familiale. Dans Krisha, drame...

le 2 févr. 2020

23 j'aime

Waves
-Thomas-
8

What a difference a day made

Stagiaire sur des tournages de Terrence Malick au début des années 2010, Trey Edward Shults abandonnera ses études pour se lancer dans le cinéma en autodidacte. Après deux films à son actif (dont "It...

le 14 août 2020

13 j'aime

2

Waves
mymp
5

Vaguement bien

Un frère et une sœur, Tyler et Emily. Deux histoires, deux êtres, deux temps, mais une seule et même famille à qui tout réussit mais qui, soudain, va se désagréger, se confronter là, violemment, à...

Par

le 19 févr. 2020

10 j'aime

Du même critique

The Medium
RicowRay
4

L'exorcisme de Ming

Une bande annonce faite de beaux paysages où viennent s'inscrire shamanisme et étrangeté malsaine, un film d'horreur à la sauce documentaire, Thaïlandais, avec Na Hong-Jin à la production et en tant...

le 16 déc. 2021

10 j'aime

Dragon Ball FighterZ
RicowRay
5

Trop beau pour être trop bien

Ah ça, ils te l'ont vendu à grands coups d'images. Mon dieu, c'est pas vrai, je vais pouvoir jouer à l'anime Dragon Ball Z !C'est pas vrai ?Si, regardes la dernière vidéo !Oh. C'est pas vrai !Alors...

le 16 avr. 2018

8 j'aime