Un film très distant de ses personnages et de son sujet. Lynne Ramsey raconte une histoire qui interroge finalement sur plusieurs points: l'amour d'un parent à son enfant et inversement est-il inné ? Le vécu forge-t-il le caractère ou celui-ci est-il prédéterminé ? La réalisatrice scénariste prend carrément partie pris, du moins dans son histoire: non. Tilda Swinton joue une mère qui tombe enceinte après une nuit d'amour fou sous drogue avec celui qui deviendra son mari et père de cet enfant. Hors, celle-ci montre une distance affective avec son enfant, de même que celui-ci en montre également envers sa mère. Le premier point important est de voir que le père ne se rend pas compte de cet état de fait, car le gosse est somme toute normal avec son daron, mais fait vivre un enfer de plus en plus appuyé et sadique à sa mère. Le récit fait des vas et vient temporels entre l'avant point de rupture et l'après point de rupture, qui bien sur sera montré en fin de récit. Tout le long, sur un ton très grinçant et l'interprétation parfaite de chaque mouture du bambin détraqué, Lynne Ramsey prend une distance froide avec sa réalisation vis à vis des personnages. Une réalisation froide comme le sont la mère et le fils. Ramsey lie la forme et le fond, démarche classique de cinéaste mais qui nous fait perdre un peu d'attachement qu'on pourrait porter au désespoir d'une mère qui ne sait plus quoi faire pour aimer ce gosse qui ne l'aime visiblement pas. Manipulateur, méchant par nature avec tout le monde, intolérant, le portrait du gamin est surréaliste mais se calque sur quelques grands traits psychologiques de fameux fous dangereux qui ont sévis à travers la planète.

Mais, le film tel qu'il est monté et réalisé, nous empêche de prendre part et de se lier à des personnages, puisqu'ils sont tout les deux distants. Les coupes froides d'une scène à l'autre, les bons dans le temps, le fait qu'on sait qu'on s'approche fatalement d'un moment tragique, nous donne une relation au film semblable à celle qui lit la mère et le fils. C'est donc très réussi, car Lynne Ramsey arrive à ses fins, mais empêche le spectateur de vraiment vivre et ressentir le film, puisqu'il n'y a rien à ressentir. J'en ressort donc mitigé. Sentiment étrange d'un coup d'épée de maitre réussi dans l'eau.

En ce qui concerne la réflexion du film sur la nature de l'Homme, elle se perd avec ses allers-retours dans le temps, qui cassent la dynamique de conflit et de défi permanent, pour se morfondre dans la détresse solitaire d'après le moment fatidique. Ce choix délibéré de narration est, à mon sens, dommageable pour la puissance du propos de fond, mais accentue le propos de forme, qui se veut distant. Le cul entre deux chaises, qu'on appelle ça. Malgré tout, le film amène une réflexion très brutale et très forte: nait-on mauvais ? Car Kevin a tout pour être heureux: une mère qui s'occupe de lui, malgré la distance affective visible, un père aimant qui veut jouer avec lui et lui apprendre des choses, plus tard une petite sœur toute joyeuse que son grand frère prend un malin plaisir à transformer en esclave et à torturer. L'absence d'affectif du jeune homme le fait devenir un tyran et un manipulateur hors pair, vu que son jugement n'est pas faussé. C'est très intéressant à disséquer comme approche et la réalisatrice et les acteurs le font merveilleusement bien.

Un film français (un nanar bien de chez nous, hein) avait approché cette piste, mais en avait fait une comédie de très mauvais gout: "Mauvais esprit" avec Thierry L'Hermitte et Ophélie Winter (oui oui...). Voilà une différence culturelle sur un même sujet. L'exception culturelle française qu'on vous dit. (Petite pique gratuite sur un certain pan de notre cinéma).
Yellocrock
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le 22 mai 2014

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