We Need to Talk about Kevin, film d'auteur prisé par beaucoup pour montrer au monde qu'ils savent différencier les blockbusters du vrai cinéma, est avant tout un film à l'esthétique soignée et aux plans empreints de symboliques. Mais avant d'aborder cet aspect - principal ? - du film, résumons rapidement le propos :

Eva, mère de famille, se retrouve à habiter seule dans une maison miteuse et apparaît torturée par le souvenir d'un événement tragique. Et c'est au moyen d'un montage parallèle sur trois périodes que la réalisatrice va nous conter l'histoire de cette femme.

J’ai personnellement passé une première heure ennuyeuse avant d’entrer enfin dans l’histoire lorsque celle-ci devenait plus consistante. Finalement, la force du film – qui constitue donc également sa faiblesse – est dans l’intention de nous donner les clés du film au travers des détails des plans et du montage.

Si l’on regarde sans prêter attention outre-mesure à ces détails, on peut comprendre le film comme suit : un enfant psychopathe qui se sent rejeté par sa mère se complaît à la provoquer et torturer son esprit jusqu’à un point de non retour où il s’en prend aux personnes qu’elle aime mais aussi à des inconnus, ne lui laissant au monde que lui.

Personnellement, je vois au film une autre lecture, une double lecture en fait. Il y a en effet la version que je viens d’évoquer qui est perçue par la mère. Elle pense ne pas avoir su l’aimer quand il était jeune et culpabilise pour ce qu’il est devenu à cause d’elle.

Mais la réalisatrice nous donne les clés d’une autre vision à travers la chronologie de son film. Celles d’un amour inavoué d’un fils pour sa mère, d’un complexe d’Œdipe jamais résolu. Cette théorie peut étonner puisque tout au long du film, Kevin n’affiche aucune rancœur envers son père et lui montre même une affection débordante – à son niveau. Et pourtant, s’il voulait réellement torturer sa mère, pourquoi n’aurait-il pas les mêmes marques d’affection pour sa sœur, isolant de ce fait encore un peu plus sa mère ? Ce que Kevin cherche, c’est éloigner ses parents, et il y parvient chaque année un peu plus puisqu’on voit les sentiments de Franklin pour Eva décliner face à son acharnement sur Kevin. Pour appuyer encore plus cette théorie – la scène de masturbation est révélatrice d’ailleurs -, attardons-nous sur ce qui pousse Kevin à l’acte prémédité. Il surprend une discussion entre ses parents pendant laquelle son père décide de garder les enfants après leur séparation. Son père a donc l’intention de l’éloigner de sa mère, la seule personne au monde qu’il n’est pas prêt à quitter (Il n’a par exemple pas le moindre attachement pour sa sœur qu’il met en danger sans remord). C’est à ce moment qu’il commande les cadenas, et qu’il prend la décision de tuer ceux qui le séparent de sa mère, mais ne pouvant avouer ses sentiments, il entreprend de brouiller les pistes en s’en prenant également à ses camarades, passant ainsi pour un « simple » sociopathe.

Ce qu’il ne sait pas, c’est que la nuit précédant ses meurtres, ses parents se réconcilient. Mais l’image du réveil clignotant – rappelant la nuit de la conception de Kevin – scelle symboliquement son destin. Leur amour lui a donné la vie, et son ravivement la lui « retire ». Cette information aurait-elle pu changer la donne ? Pour surmonter son complexe d’Œdipe, il faut « tuer le père » comme le disait Freud, et ce nouvel élan d’amour réduisant à néant les efforts de Kevin n’aurait certainement rien changé à la finalité. Kevin était – selon lui - condamné à agir.

On peut alors expliquer la dernière scène où Kevin affronte – pour la première fois – le monde adulte duquel il s’était fermé et où il ne comprend pas qu’il vient de dépasser son complexe, laissant ses actes sans justification valable.

Pour terminer, notons que la réalisatrice a soigné de nombreux plans, les chargeant d’une symbolique facile mais efficace. Ainsi, l’amour d’Eva et Franklin est né dans le rouge – manifestation étrange par ailleurs – et s’est terminé dans le rouge, puisque sa robe blanche est maculée de sang après avoir étreint – on nous le suggère - son époux. Beaucoup de plans symétriques placent la mère au centre traduisant l’importance qu’elle revêt aux yeux de Kevin. Enfin, la scène du litchi, métaphore de l’œil perdu de la sœur, restera, pour moi, la plus efficace.
FrancisD
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le 24 août 2014

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FrancisD

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