Le film inspiré par “début de soirée” (tu tapes tapes tapes…)

J’ai longtemps pensé que la batterie consistait à taper sur une boite, et ça ne me faisait pas trop rêver à vrai dire.
Jusqu’à ce que je me rende compte de l’effort énorme que me demandait un simple clap presque en rythme. J’ai alors compris deux choses: que je ne ferai jamais de musique, et que les musiciens seront toujours pour moi un mystère, comme des dieux capables l'apprivoiser le son, de faire la différence entre le faux et le juste alors que moi je n’y entends que du feu.

Autant dire qu’un film sur un batteur de jazz, c’était pas forcément mon univers.
Mais Whiplash n’est pas un film sur la musique, on pourrait transposer son histoire à n’importe quel domaine, elle tiendrait encore debout.
A priori c’est l’éternel récit du jeune pas forcément hyper doué mais qui va se battre pour arriver à devenir le meilleur.

Oui, mais pas seulement.

Whiplash arrive à construire une relation entre le maître et son élève presque sado masochiste.
L’élève sait dès le départ combien son prof est sévère et intransigeant, il y va quand même, il se donne du mal pour y arriver, et ce n’est pas une façon de parler, il se fait vraiment violence.
Le prof est un vrai tyran, forçant ses élèves à éviter son regard et à endurer les critiques les plus cinglantes et plus mal venues: physique, origines, orientation sexuelle, tout y passe. A l’heure des débats sur les violences à l’école, voilà un bel exemple de torture infligée par un prof trop respecté et trop empreint de sa propre importance. A l’heure où 50 nuances de Grey déferle sur les écrans avec ses relations édulcorées, voilà un bel exemple de rapports complexes et cohérents de domination/soumission.

Fletcher (le prof) est tyrannique mais il a une prestance, un magnétisme, il dégage tellement d’assurance qu’on ne peut en vouloir aux élèves qui n’osent pas se rebeller, trop contents d’avoir été choisis et d’être tolérés par le chef.
Transposition d’un régime totalitaire dans l’univers confiné d’une salle de classe qui vient donner un arrière goût amer au film.

Il y a une telle dépendance des élèves vis à vis de ce chef trop charismatique qu’on a l’impression de regarder des drogués qui replongent sans cesse dans leur addiction.

On a beau trouver ça malsain, une petite voix nous dit quand même qu’au fond la position du prof est bien expliquée, trop bien expliquée, et ça nous fait douter de nos certitudes. Le génie s'exprime-t-il toujours dans la souffrance? faut-il casser les gens pour en faire des artistes accomplis? En y réfléchissant, il y a peu de génies non torturés. Mais à quel prix? Combien de sacrifiés pour un élu qui sort du lot?

Nous sommes nous aussi des drogués de cette histoire, ne sachant s’il faut admirer ce prof hyper exigeant comme l’impose sans doute la soif de perfection ou y voir un bourreau incapable d’arrêter ses sévices et de reconnaitre ses erreurs.

Et cette hésitation fait mal: parce qu’on ne peut juger ce qu’on a regardé pendant près de deux heures, parce qu’on ne sait pas quelle position aurait été préférable, parce qu’on ne saurait probablement pas se sortir de cette situation non plus à moins d’abandonner très vite.
Ca fait mal de se dire qu’on peut être tellement influencé par le charisme et l’aura d’une personne qui fait autorité, ça fait mal de se souvenir de ce qui peut se passer quand tout dérape, et de se rendre compte que la frontière entre la sévérité acceptable et le basculement de l’autre côté est bien ténue.

J’ai haï le prof pendant tout le film même si ses répliques piquantes me faisaient sourire, j’ai admiré la performance de l’acteur, et en même temps j’ai trouvé son discours et son personnage cohérent, et quelque part ça me fait froid dans le dos.

Au delà du message, il faut dire que les acteurs sont très bons, que les images sont magnifiques, et la musique forcément omniprésente, dynamique, entêtante, et même assourdissante dans un final épique. Je crois que j’en suis ressortie KO, un peu comme à la fin d’un combat de boxe, et le film y ressemblait très souvent.

Un très beau moment, mené tambour battant à dévorer avec ou sans baguettes!
iori
9
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le 4 mars 2015

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iori

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