7,75/10
Quel loisir, quel sport, quel art n'a pas eu son success movie? En attendant un film sur le triangle ou la flûte à bec, Damien Chazelle propose d'en consacrer un à la batterie, sauvé par des parti-pris étonnants et des acteurs parfaitement convaincants, à commencer par J. K. Simmons bien sûr, qui comme William H. Macy par exemple a l'habitude des seconds rôles d'homme mûr et calculateur, où ses courtes performances crèvent l'écran, et qui brille ici par le naturel avec lequel il exprime le cynisme, la puissance et la douceur, avec tant de facilité, et si bien mis en valeur par la réalisation, qu'il aurait presque aussi bien mérité l'oscar du meilleur acteur dans un rôle secondaire qu'Edward Norton pour Birdman. Il incarne le chef d'orchestre impitoyable d'un groupe amateur réputé, cherchant à pousser les joueurs à donner le meilleur d'eux-mêmes par des méthodes peu orthodoxes, que seuls les plus forts peuvent surmonter. Face à lui, Andrew Neyman est un jeune joueur de batterie, auquel on s'identifie d'abord naturellement, en nous attendant à un classique schéma de success story, où le néophyte surdoué, par le travail et en acceptant de reconnaître ses erreurs pour se remettre en question, parvient à briller et trouve l'épanouissement. Mais ce schéma est vite brisé quand il montre une nature qui n'est pas plus aimable que celle de son chef, n'hésitant pas à sacrifier sa petite amie, à insulter les autres joueurs, à humilier ses frères, recherchant à tout prix la reconnaissance de son talent, et travaillant avec une dureté que l'on ne parvient plus à admirer tant elle est dans la démesure - comme quand, rescapé d'un violent accident de voiture, il se précipite tout de même dans la salle de concert où il doit jouer, oubliant tout au profit de sa musique et de sa peur d'être remplacé. Il n'y a pas d'autre histoire, Chazelle ne cherche pas à nous réconcilier avec son personnage, à explorer plus avant sa vie familiale et sentimentale, à nous dire s'il réussit. Seule la tension entre professeur et élève, et l'acharnement à obtenir le meilleur, l'intéressent, superbement mise en valeur par un rythme acharné, sans une minute de relâchement, imitant la violence de leurs caractères. En renonçant aux codes d'un genre usé jusqu'à la moelle, le réalisateur renonce également au message traditionnel de ce genre de films, à cet éloge facile des efforts toujours couronnés, en nous en montrant la face la plus sombre, et sans doute la plus réaliste : ces efforts exigent le sacrifice, tout le monde ne peut parvenir, et tout ce qui n'aide pas à exceller est un frein ; la génie est un marginal, non parce qu'il est rejeté par les autres mais parce qu'il les rejette, outrageusement violent tant envers eux qu'envers lui-même, méprisant le moyen. C'est la mécanique même de la success story que Chazelle détruit ici, avec une force qui n'a pas laissé les spectateurs indifférents - le film a triomphé à Sundance, festival qui brille encore ordinairement par son bon goût. Il ne cherche ainsi pas à iconiser la batterie, ce qui aurait été facile à partir des pistes qu'il lance, et ne parvient à la rendre intéressante que parce qu'elle cristallise cette mise en valeur de la souffrance et des tensions. Les amateurs seront fascinés, les autres insensibles à la musique, ce qui est peut-être dommage, mais pas dommageable, le cœur du film étant ailleurs, et offrant bien assez à ceux qui sont prêts à prendre conscience des coups de fouet qu'assène toute société reposant sur l'excellence sans compromis. (critique de 2015)