Edulcorer n'est pas (forcément) foirer

Autant le dire tout de suite : entre sa catastrophique bande-annonce dont on ne comprenait rien à rien (zombies, pas zombies ?), sa star n'étant plus synonyme de qualité depuis un moment (Brave Type), et son metteur en scène condamné aux flammes éternelles de l'enfer pour avoir commis le pire James Bond depuis Octopussy (Marc Foster), la course de WWZ ne s'annonçait pas gagnée. Mais c'était peut-être ça, son arme fatale : deux semaines après le semi-échec de Man of Steel qui a déçu la plupart des attentes, débarquer en ce début d'été sans aucune réelle promesse pour mettre de son côté toutes les chances de surprendre positivement...

Careful, now. Qu'on se le dise : World War Z est LE prototype parfait de film détesté par les amateurs du roman dont il est tiré. Adaptation initialement pleine de bonne volonté (voir les nombreuses interviews du réalisateur à ce sujet), le film s'est vite transformé en show d'action non-stop sous la pression d'un studio effrayé à l'idée de rebuter le moindre spectateur âgé de plus de treize ans - le pire dans cette histoire est que ça ne l'a pas empêché de se planter au BO. On ne retrouvera pratiquement rien de l'horreur viscérale et du matériau thématique de l'excellent roman de Max Brooks, qui parvenait à conter le plus "réalistement" possible les effets à l'échelle globale d'une apocalypse de zombie, tout en restant solidement rivé au plancher des vaches et ses fragiles destins individuels. Malgré ses petites scènes de flippe et ses maquillages généralement réussis, WWZ est donc un spectacle quasiment tout public qui parvient à mettre en scène une quasi-fin du monde bien salissante en un minimum d'hémoglobine ; in fine, le génocide planétaire pèse peu aux yeux du spectateur, en comparaison des happy endings individuels, un peu à la manière d'Independence Day de Roland Emmerich, où des millions de gens mourraient hors-champs, mais où le labrador du héros survivait fort heureusement au tunnel en flammes, parce que faut pas exagérer non plus.

En même temps, à quoi s'attendait-on ? Aucun studio sensé investirait près de 200 millions de dollars pour un film interdit aux moins de seize ans. Les attentes des puristes étaient condamnées à la déception. De fait, on conseillera audits amateurs d'oublier ce qu'ils ont vu par le passé, et aux lecteurs du livre d'oublier ce qu'ils ont lu... car c'est à cette seule condition qu'ils parviendront à tirer du spectacle un minimum de plaisir, comme le tout venant ne s'attendant à rien d'autre que le bon gros blockbuster übermarketé des semaines durant.

Pourtant, au premier visionnage, le film de Marc Foster parviendra à produire son effet, en tirant le meilleur parti de nos attentes : du début à la fin, les habitués du film de zombies classique s'attendront au pire, pensant que quelque chose d'horrible finira bien par arriver. Ce ne sera jamais vraiment le cas, mais le suspense aura tout de même fonctionné, ce qui est déjà le signe d'une mise en scène réussie...

Co-responsable du désastre Quantum of Solace, le réalisateur Marc Foster avait plutôt intérêt à se racheter une conduite. Mission réussie, dans les limites de son rôle, naturellement : si le fond de WWZ est des plus faibles, la forme est d'excellente facture, compensant par son énergie l'absence de réelle violence graphique. Au début irritante, la mauvaise lisibilité des scènes de foule en panique devient rapidement leur plus gros atout, Foster y développant une "science du chaos" qui nous fait ressentir l'horreur viscérale de cette situation où l'ordre de la civilisation se désintègre trop rapidement pour être appréhendé rationnellement. Foster assure davantage encore dans les intérieurs : on pense notamment à l'excellente scène du laboratoire, qui fait presque figure d'hommage à la cultissime scène des cuisines de Jurassic Park (même nécessité de silence face à une menace proche, dans un même intérieur glacial), soit une plutôt bonne référence pour un récit d'aventures. Le mélange d'efficacité et d'élégance de sa mise en scène trouve un présage idéal dans l'excellent générique d'introduction, qui rappelle celui, tout aussi excellent, de L'Armée des Morts de Zac Snyder.

Hélas, les inspirations de WWZ version ciné relèvent parfois davantage du pompage éhonté : le huis-clos dans le HLM de la famille hispanique rappelle Brendan Gleeson et sa fille dans 28 jours plus tard ; le final dans le centre de l'OMS rappelle le season finale de la saison 1 de The Walking Dead... etc. Par ailleurs, on y croise des passages d'une idiotie surnaturelle, telle la chute de Jérusalem, affreusement négociée (allo les gars, il y a une montagne de zombies qui s'agglutine contre votre muraille supposément fliquée par une armée d'hélicoptères 24/7 !). Une fois toléré l'édulcoration du bouquin et l'absence d'hémoglobine, le manque d'originalité et les ratés d'écriture constituent les vraies limites du film.

Contrairement à ce qu'avanceront certains nerds névrosés, WWZ n'"endommage" pas le genre du film de zombie par son caractère mainstream, pas plus que Warm Bodies ou Shawn of the Dead ne le faisaient en ridiculisant les morts-vivants dans un but comique. Le zombie cinématographique n'est pas un genre déposé, il y en a presque autant qu'il y a de films, celui de Land of the Dead n'ayant rien à voir avec celui de 28 jours plus tard, par exemple. En fait, WWZ rappelle plutôt les dangereux malades de la bonne série b The Crazies que les créatures mythiques de Romero. Non, WWZ n'a pas grand chose à voir avec la Nuit des Morts-vivants : de l'expression "survival horror", il n'a gardé que le "survival". Soit une excellente raison de concentrer son attention sur les survivants...

Parce que tout n'est pas à jeter, dans le scénario de WWZ. Le père de famille dévoué et véritable McGyver de l'ONU qu'est Gerry Lane est un héros lisse, mais constitue en contrepartie un parfait véhicule pour Brad Pitt, qui livre une performance d'une intensité étonnante, considérant le tour rasoir qu'a pris sa filmographie ces dernières années (à l'instar d'un Johnny Depp). On ne s'intéresse pas vraiment à son épouse (Mireille Enos, trop loin de The Killing...) ni à ses gamines, mais s'identifie totalement à lui lorsqu'il se trouve dans le feu de l'action, belle illustration du savoir-faire hollywoodien. Ce classicisme se retournera contre lui dans une conclusion en voix-off d'une platitude confondante, mais jusque là, ça aura plutôt bien marché.

Par ailleurs, la tripotée de scénaristes (dont Damon Lindelof, omniprésent pour le meilleur et pour le pire) et de subodorés script doctors a su tirer quelque chose de précieux de cet enchainement, ou plutôt déchainement de scènes apocalyptiques : une forme d'imprévisibilité tirée de ce grand bordel international où tout peut arriver. On pense à l'accident d'avion (après Jérusalem, on s'attend à une simple transition laissant retomber la tension... mais en fait non, et ça impressionne vachement), ou à la mort absurde du jeune scientifique (un des rares moments de comédie) ; mais c'est le personnage de la soldate israélienne Segen qui en est le meilleur exemple : débarquant sans prévenir en plein milieu du film, elle devient rapidement le personnage le plus important après Gerry Lane, et sans aucun doute le plus réussi, en partie grâce à l'ultrasensible performance de Daniella Kertesz, rasée, amputée, transbahutée entre deux cataclysmes, idéale figure de survivante à laquelle on s'attache instantanément. Au bout du compte, c'est ce genre de choses qui importe dans un survival, davantage que les explosions de tripes ou les fracassages d'os.

Alors en conclusion, WWZ n'est certainement pas la catastrophe annoncée. Ecrit trop inégalement pour être un vrai bon film, il n'en demeure pas moins un spectacle solide replaçant Brave Type dans nos coeurs, révélant une actrice, réservant quelques vrais bons moments de cinéma-catastrophe, et rappelant qu'édulcorer n'est pas nécessairement gâcher.
ScaarAlexander
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le 15 juil. 2013

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