Présenté à Cannes en compétition, le nouveau film de Paolo Sorrentino a divisé la critique, certains criant au génie quand d'autres se contentaient de le dézinguer sans ménagement.
Comme souvent, la vérité réside dans la nuance, et c'est tout l'objet de ma critique.


La réalisation millimétrée et proche de la perfection de cet opus peine à masquer sa flagrante faiblesse scénaristique. Cette construction dramatique ex nihilo est un choix risqué tant il est difficile pour le spectateur d'adhérer au propos quand il ne parvient pas à en identifier la trame.
Je trouve en outre que ce film est trop long, et 20 à 30 minutes de moins n'auraient pas fait de mal.
Egalement, j'ai eu l'impression que Sorrentino cherchait à compliquer pour le plaisir de compliquer, et cela révèle à mon sens une prétention tout à fait insupportable qui consiste à dire implicitement au public qu'il est un grand cinéaste, comme si il cherchait à s'en convaincre.
A l'image du personnage de Harvey Keitel, le cinéaste italien cherche une reconnaissance de la part de ses pairs -mais aussi du public-, mais il le fait avec un cruel manque de subtilité.


La complexité des personnages et leur évolution tout au long du film sont résolument les points forts de Youth.
Le silence de la montagne, toute majestueuse et impénétrable qu'elle peut être, reflète l'incapacité de chacun à mener une constructive et saine remise en question sur sa propre vie.
Il est aussi intéressant de noter que le natif de Naples a choisi un décor chronique pour porter à l'image les séquences "confessions" : lorsqu'on voit les 2 acolytes parler de leur vie, de leurs souvenirs, de leur métiers respectifs, ils marchent sur cette route entourée de collines verdoyantes, nous donnant l'impression qu'ils nagent dans une mer de végétation. Cet effet de mise en scène est reproduit quand le personnage de Michael Caine discute avec le jeune acteur.
Cette "mise au vert" visuelle des personnages illustre à quel point notre propension à nous confier dépend du lieu, et plus généralement du contexte.
Par ailleurs, chacun des 2 personnages principaux va à un moment se laisser aller à des hallucinations, qui sont le reflet de ses fantasmes, eux-mêmes teintés d'une nostalgie de la gloire passée.
Ainsi, la frontière entre rêve et réalité est-elle très mince, et les Illusions perdues, les frustrations accumulées et les rancoeurs intériorisées prennent autant de place que la réalité des choses.
Caine et Keitel sont tous les deux brillantissimes et ils incarnent paradoxalement la vitalité et la fraicheur de ce long-métrage.


La notion de liberté est omniprésente tout au long du film, et en constitue un fil directeur.
On comprend que chacun peut décider ou non d'être libre et qu'il est responsable de sa capacité à agir en toute circonstance. Le cinéaste cherche à nous faire comprendre que nous créons nous-mêmes nos propres limites et nos propres peurs, de même que nous sommes vieux car nous décidons de l'être. "Quand on est jeune, l'avenir paraît proche, et quand nous vieillissons, le passé ne cesse de s'éloigner." Mais tout n'est qu'illusion !
Ainsi Youth est-il est une authentique injonction à relativiser la problématique du temps qui passe, à prendre conscience que nos gesticulations incessantes sont vaines et qu'aucun homme ne vaut mieux qu'un autre (captivante discussion sur le quai de la gare entre Harvey Keitel et son équipe).
Alors contentons-nous de profiter de la vie et de ce qu'elle a à nous offrir ! (c'est d'ailleurs quand on en attend plus rien qu'elle peut s'avérer la plus généreuse..)


A mesure que chaque personnage se découvre, évolue, s'ouvre aux autres, le spectateur est tenté de penser que le "bout du tunnel" -la lumière- est proche, mais le cinéaste échoue à conclure en apothéose ce qui aurait certainement pu être un grand film. C'est fort dommage.

Créée

le 6 oct. 2015

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Workit Pi

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