Cette année encore sur la Croisette, le cinéma italien a pu démontrer son net regain de santé par la force de trois films hautement attendu et tous signés par des metteurs en scènes talentueux maison : Mia Madre de Nanni Moretti, Tale of Tales de Matteo Garrone et Youth de Paolo Sorrentino.


Si le premier a su conquérir le cœur des journalistes, en revanche les deux suivants ont reçus des critiques mitigés.


Un constat des plus logique cependant en ce qui concerne le fantaisiste nouveau Garrone, beaucoup trop long et fouillis même si beau comme un tableau de maître.


Restait à savoir si l'accueil tiède du métrage de Sorrentino était justifié - sa bande annonce est sans conteste l'une des plus belles de l'année -, lui dont les deux derniers longs en date, les sublimes This Must Be The Place (avec un Sean Penn bouleversant et au look très Robert Smith aka le leader de The Cure) et La Grande Bellezza (lucide et mélancolique chronique d'un écrivain observant la laideur de la vieillesse d'une jet-set se pavanant dans le luxe, la vanité et la décadence) incarnaient décemment des must see dans les salles obscures.


Le bonhomme, dont c'était la sixième participation dans la compét officielle (pour un seul prix à la clé, en 2008 avec Il Divo), avait pourtant mit toutes les chances de son côté pour aguicher les cinéphiles endurcis avec titre joliment paradoxale (surtout compte tenu de son histoire) et un pitch aussi alléchant que son casting - encore une fois international - est méchamment classieux : les inestimables Michael Caine et Harvey Keitel, l'excellent Paul Dano et la ravissante Rachel Weisz.


Alors, gros pétard mouillé cannois ou vrai chef d’œuvre incompris ?


Si le titre de chef d’œuvre est clairement surévalué, force est d'admettre que le metteur en scène de L'Ami de la Famille signe là l'un des plus beaux films qu'il nous est donné de voir en cette riche année fin d'année ciné 2015, une belle dramédie qui incarne à n'en pas douter l'une des plus belles lignes de la filmographie du plus grand des formalistes du cinéma italien.


Youth donc, ou l'histoire de Fred et Mick, deux vieux amis approchant les quatre-vingt printemps, et qui profitent de leurs vacances dans un bel hôtel au pied des Alpes.


Fred, compositeur et chef d'orchestre désormais à la retraite, n'a aucune intention de revenir à la carrière musicale qu'il a abandonnée il y a longtemps (même sous l'insistance de la reine d'Angleterre herself), tandis que Mike, réalisateur, travaille toujours, s'empressant de terminer le scénario de son dernier film.


Les deux amis savent que le temps leur est compté et décident de faire face à leur avenir ensemble.


Mais contrairement à eux, personne ne semble se soucier du temps qui passe...


Exit l'hystérie outrancière totalement mise de côté depuis This Must Be The Place (qui comptait déjà un casting international), son philosophique Youth, finalement pas si éloigné que cela dans ses thèmes (sa passion pour le déclin n'a rien perdu de sa superbe) et son approche de son Grande Bellezza, prend une nouvelle fois le parti pris de sonder le destin de protagonistes en fin de vie, rongés par les remords et les souvenirs d'une existence désormais révolue.


Une chronique émotionnelle douce et amère sur le temps qui passe filmée tel un ballet complexe et grossier - un peu trop peut-être -, ou l'on passe du rire au larme, du vulgaire au poétique en un simple clin d’œil toujours lancé de manière complice à un spectateur totalement acquis à sa cause et ce dès les premiers centimètres de bobines.


Légère et aérienne, la caméra de Sorrentino capte amoureusement le moindre plan pour accoucher d'une œuvre esthétiquement renversante et démontrant une énième fois - si besoin était - la maitrise obsessionnelle du bonhomme pour millimétré chacun de ses cadres tel un orfèvre extraordinaire.


Que ce soit de par sa somptueuse photographie ou son découpage aussi précis qu'une horlogerie suisse, Youth transpire la leçon de cinéma par tous ses pores, une leçon appuyé par son écriture sincère et joliment teintée d'ironie (encore plus dans son dernier acte sonnant presque comme une satire grinçante du septième art) avec des personnages haut en couleurs et des dialogues souvent féroces.


Une ode à la vie indigeste pour certains (ses détracteurs sont nombreux) mais virtuose pour les autres, dans laquelle une évidence règne, celle de la brillante prestation du duo Michael Caine/Harvey Keitel, qui trouvent ici deux de leur plus juste et intense prestation depuis bien longtemps.


Jonathan Chevrier


http://fuckingcinephiles.blogspot.fr/2015/09/critique-youth.html

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le 9 sept. 2015

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