Paolo Sorrentino et moi, jusqu'alors, on s'entendait vraiment très bien. Mais alors vraiment très, très, très bien. "Il Divo", par lequel je l'avais découvert, était un biopic politique intéressant doté d'une mise en scène brillante qui n'étouffait jamais son sujet, ni son personnage. Son second long métrage, "Les conséquences de l'amour", était un film magnifique, bouleversant, avec un Toni Servillo au sommet. Un très grand film. Quant à la Grande Bellezza... Que dire, que faire ? On nous offrait le film le plus ambitieux et le mieux réalisé de la dernière décennie, si ce n'est au delà. Le public s'enthousiasmait et la presse spécialisée boudait bêtement et retournait tartiner d'un nutella admirateur le dernier Ozon. Affaire de goût, oui, bien entendu, puisque selon certains, le film était "poseur", et même que ça leur plaisait pas, à nos beaux apôtres du dénuement. J'accepte personnellement sans problème ce qualificatif parce qu'il est vrai : La Grande Bellezza était un film poseur, poseur à l'extrême, il en était incandescent.
Mais y-a-t-il un quelconque mal à bien poser ? Dire d'un tel film qu'il est "poseur" (en un sens ouvertement négatif) ça reviendrait à engueuler Karl Lagerfeld d'habiller trop bien ses mannequins. Vous remarquerez aisément à quel point, dit comme ça, ça a l'air con. Dans La Grande Bellezza, Toni Servillo ne se contentait pas d'être au sommet : il emmenait tout et tout le monde avec lui sur son passage, le temps d'un grand tourbillon romain, dans un torrent de pleurs, de fêtes, d'amour, de nostalgie, et de fêtes qui font pleurer... Il y avait cette fin splendide, sur ce petit "truc" qu'est la vie. Il y avait ces dialogues, extraordinaires et jamais condescendants, entre tout ces riches bourgeois décadents et malheureux. Il y avait toute cette misère affective, tout le sale côté du monde des nantis de l'art, et pourtant, tant de tendresse dans chaque morceau de pellicule que la charge émotive du film était à peu près proportionnelle au salaire du steadycamer : gargantuesque. Bref, La Grande Bellezza, c'était épique. La Grande Bellezza, c'était Hiroshima 2013.


Tout ça pour dire que j'attendais beaucoup de toi sur La Giovennezza, Paolo, beaucoup... On peut pas faire n'importe quoi après un coup d'éclat pareil. Ça s'appelle le Théorème Malick : si tu fais un truc génial et que tout le monde dit que c'est génial, tu fermes ta gueule et t'attends cinq ans. Si tu ne respecte pas le théorème, tu te retrouve à faire "A la merveille". Tu n'en es pas encore là, mais aimerais tu que ça t'arrive un jour ? Bon. C'est bien ce que je pensais :
Paolo, t'as fait le gamin. Le sale gamin, parce que tu t'es tout juste démerdé pour que cette note ne penche pas du mauvais côté de la moyenne. Parce que là, comme un gosse trop sur de lui, t'as fait n'importe quoi, et tu l'as fait trop vite.



  • Pourquoi travailler tes plans toujours sur le même principe de symétrie infâme allant contre toute sorte de naturel qui te ferait presque ressembler à Wes Anderson ? Oui, étouffe toi, tu sais autant que moi qu'il est l'ennemi juré du cinéma que nous prônons.


  • Pourquoi te la péter avec tes deux vieux américains bankables si c'est pour leur construire un rôle bâclé à la six quatre deux ? Putain, si c'est pour faire de Caine et de Keitel ce que tu en as fait, tu pouvais tout aussi bien prendre le type qui joue le blond dans Les Experts Las Vegas, ca aurait été pareil ! Encore; Caine, bon, d'accord. Tu parviendras à faire croire à certains que t'en as quelque chose à foutre, parce qu'il reste jusqu'à la fin. Mais sur Keitel, t'es inexcusable. On balance pas un personnage comme ça pendant 1h de film pour qu'il disparaisse ensuite très vite dans le néant par l'opération du saint-esprit, et sans explication de rien.

    A moins qu'il en ait eu marre de parler de sa prostate toute les deux répliques, et soit parti de lui même : shit happens...


  • Pourquoi te la péter avec tes deux acteurs de l'os en gelée si c'est pour troquer ton steady contre une réalisation alternant plans drones bien trop nombreux, champs-contre/champs dignes de n'importe quel autre réalisateur (tu te rends compte, Paolo ? TU DEVIENS COMME LES AUTRES !), et plans fixes... plans fixes... ah oui on l'a dit, ces fameux plans fixe "Wes Anderson says Hi". Ce qui signifie en lagage profane que le fauteuil de gauche est placé exactement en miroir par rapport au fauteuil de droite et que tout deux font face à une fontaine en arc de cercle elle même divisée en deux parties égales et non égales soumise à la troisième lois des protons, si tant est qu'elle existe. BIEN.
    Ah tiens, il y en a encore, la, des vieux bonshommes symétriques, plantés là comme des oignons. Ou comme des personnages de Wes Anders... bon j'arrête avec lui, c'est pas sympa à force.



Ah oui, personne n'a osé te le dire dans l'équipe Paolo, mais le drone, je sais que c'est rigolo, que ça amuse tout le monde avec son gros "BBBBVVRRZZZ" électrique, mais il faut que tu saches que ça rends facilement tout très très impersonnel et qu'une fois atteint ce stade, ton film se transforme immédiatement en séquence d'Ushuia. Réflechis y, il est encore temps de te sauver.


Et pour cela, je ne vois qu'une seule chose : commence par regarder tes anciens films, et vois ce qui a couillé.
Ensuite, lorsque tu écriras ton prochain long métrage, fais bien gaffe à ne pas multiplier les sous personnages et sous intrigues à l'excès, non pas qu'elles ne soient pas belles, ou intéressantes ! Elles bouchent juste du temps à l'intrigue principale qui du coup n'apparait plus forcément comme principale, vois tu, si bien qu'on en arrive a se demander si ce ne serait pas plutôt la fille de Michael Caine l'héroine... avant qu'elle ne disparaisse pendant 1h40 , pour réapparaitre à la fin du film dans un plan d'escalade en montagne avec son nouveau keum qui aurait pu ne pas être inutile, et même beau, s'il avait duré plus d'une demie seconde.


Et ça, plus que tout Paolo, c'est ce que je te reproches : Toi, unique roi des plans en mouvement que nous ayons en Europe, maître zen sachant prendre son temps et ne pas couper trop vite ses somptueuses errances ? Ou sont donc passées ces somptueuses errances ? Il n'y a plus d'errances dans Youth ou alors de fausses, de calculées, des errances Yann Arthus Bertrand au dessus d'un décor Wes Anderson. Prononcez ces deux noms à la suite, vous verrez votre gorge faire un bruit étrange de type Yanes Andthur Bertranderson. C'est moche, hein? Vous pouvez recracher vos glaires.


Il y a quelques beaux moment. Comment pourrai-je justifier mon 6 sans dire au moins cela ? Il y a quelque bons moments, mais pas des masses, et globalement, il s'agissait des moments que la plupart d'entre vous qualifient de "moments clip hipster calibrés pub photographiés à outrance "beeeurk" avec des chorégraphies dedans." Probablement juives et franc maçonnes, d'ailleurs...
Après, par ci par là, je lis des bêtises qui me font remonter la note. Déjà rien que pour casser les couilles à tout ces pd qui aimaient pas la Grande Bellezza mais aiment celui ci, et qui veulent surtout pas qu'on soit d'accord. C'est rigolo. Mais "rigolo", c'est pas une raison suffisante.


Sorrentino à réalisé l'étrange et paradoxal coup de maître de réaliser un film qui plairait à ceux que son cinéma dérange. Paolo Sorrentino pense à l'envers : il devrait réaliser des films qui plairont à ceux que son cinéma enchante, et ce depuis longtemps.
Si je laisse ce 6 et ce coeur, c'est parce que je garde espoir en un homme qui, jusqu'alors, ne m'avait jamais déçu, et qu'on à toujours droit à une seconde chance. Si je laisse aussi ce six et ce coeur c'est pour un dialogue, un dialogue un seul, entre Michael Caine et Paul Dano, et puis parce que quand même, c'était tout de même joli.


Si je laisse ce 6 et ce coeur, c'est parce que La Grande Bellezza méritait la palme d'or ou le prix du jury, et que de tout cela elle n'eût rien, malgré la bêtise profonde de l'ensemble de la programmation cette année là.


Enfin, si je laisse ce 6 et ce coeur c'est parce que je t'aime bien, Paolito, et que l'erreur que tu viens de faire, ta toute première, me raffermit dans ma vision du cinéma, qui je le sais, nous avons eu l'occasion d'en discuter, est aussi la tienne. D'ailleurs, je traduirais ce texte en anglais, et te l'enverrais. J'ai pu constater que tu n'étais pas du genre à laisser sur sa faim un cinéphile rempli de questions par le passé. Puisse cela ne pas avoir changé.


Passe une bonne nuit, Paolo.

-Absalon
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le 14 sept. 2015

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-Absalon

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