11 septembre 2001 : les tours jumelles de New York sont la cible de deux avions kamikazes et s’écroulent quelques heures après avoir été percutées. Les images vont être diffusées jusqu’à la nausée, témoignant du traumatisme subi par les États- Unis et du même coup de l’entrée officielle dans le 21ème siècle et la guerre contre le terrorisme. 2 mai 2011 : Oussama Ben Laden, traqué depuis presque une décennie, est abattu dans une maison pakistanaise. Son corps sera ensuite jeté en mer. Aucune image de cette opération hautement secrète n’a jamais été montrée, si tant est d’ailleurs qu’un enregistrement de l’intervention de l’unité spéciale des forces américaines ait jamais existé. La tentation était donc grande, mieux : irrésistible, de faire appel au cinéma pour retracer la traque du saoudien devenu l’ennemi numéro un de l’Amérique. C’est donc la réalisatrice californienne Kathryn Bigelow qui s’y colle, celle-là même qui mit en scène le dispensable Point Break (1991), mais surtout le brûlot Démineurs qui en 2009 obtint les Oscars les plus convoités. Après s’être penchée sur la problématique irakienne, elle était probablement la mieux placée et la plus compétente pour diriger un film qui, comme son frère jumeau Argo, a tout du clip promotionnel pour la CIA et la technologie de pointe des États-Unis, en n’oubliant pas de faire l’apologie du héros solitaire et déterminé, seul contre tous et persuadé d’avoir raison.

Précédé d’une sulfureuse réputation qui le taxe notamment de faire l’apologie de la torture, le globalement ennuyeux Zero Dark Thirty n’en mérite certes pas tant. Soyons honnêtes : Kathryn Bigelow ne se complait pas à filmer la torture ni à prétendre qu’elle est une solution inévitable. Elle se contente juste de la légitimer de façon assez abjecte en juxtaposant des bribes de discussion lors des attentats de 11 septembre, sans aucune image (voyez comme je suis maligne), et une scène de torture. Puis, pendant une bonne heure et demie, la cinéaste se prend pour David Fincher en déployant une avalanche d’informations (personnes, lieux) pour illustrer la nébuleuse d’Al-Qaïda et la difficulté à localiser et à neutraliser Ben Laden. Alors là, de deux choses l’une : soit on est en effet intéressés par le sujet et on n’a certes pas attendu Kathryn Bigelow pour nous éclairer, des auteurs comme Gilles Kepel ou plus récemment Mark Bowden s’en étant chargés avec autrement plus de talent et de connaissances ; soit on ne se sent pas préoccupés par cette problématique et, dès lors, on oublie à peu près tout des quantités d’informations qui nous sont déversées.

Et on attend donc les fameuses 45 dernières minutes. L’acmé, le climax du film. Celles, filmées en temps réel, retraçant l’opération commanditée par Barack Obama (la scène certainement la plus importante ne figure pas dans le film, dommage). Tout comme dans la dernière demi-heure d’Argo, on retrouve là une mise en scène haletante, angoissante, qui met les nerfs à rude épreuve, d’autant plus qu’elle a lieu en pleine nuit, captée par des caméras infrarouges. Pour brillante qu’elle soit, la séquence qui ramène du coup l’ensemble à un banal film de guerre ou d’espionnage adopte furieusement les codes du jeu vidéo, y compris dans le choix du vocabulaire (il y est question sans cesse d’accès à des niveaux supérieurs). Prétendument grande formaliste, Kathryn Bigelow livre un très long film dont on se dit qu’il fera une excellente série télé, avec son alternance de moments calmes (développés autour du personnage inintéressant de Maya) et d’instants haletants qui apparentent aussi le film à un James Bond ordinaire. Mais ce qui, encore une fois, agace le plus et pose problème, c’est bien l’unilatéralisme dont le film ne s’éloigne jamais, occultant de manière arrogante et sûre de son bon droit le point de vue, fût-il indéfendable, des islamistes. On finit d’ailleurs par s’interroger sur la portée du film qui mythifie plus qu’elle ne la détruit l’image iconique de Ben Laden et qui, derrière l’efficacité bien réelle de l’unité des forces spéciales surentrainées et suréquipées, ridiculise ou met en doute les méthodes américaines. La CIA qui a participé, sinon phagocyté, le projet saurait-elle faire preuve d’autant d’ironie ? Ce serait bien la seule bonne nouvelle délivrée par ce pensum lourdement patriotique.

PS à la critique : je m'interroge de plus en plus sur le film, notamment si nous devons prendre pour argent comptant tout ce qui nous est montré dans l'assaut final. Loin de moi l'idée d'un complot ou d'une falsification de la vérité. Néanmoins, j'imagine mal Ben Laden attendre gentiment qu'on vienne l'exécuter. Enfermé depuis des semaines dans la maison, peut-être affaibli et malade, même à supposer que l'opération nocturne ait surpris les occupants, le bruit des deux hélicoptères (l'un se posant sur le toit du bâtiment, l'autre se crashant) l'a au moins alerté. Pourquoi le suicide du terroriste n'aurait-il pas été aussi le moyen d'échapper à ses poursuivants ? Pure hypothèse, conjecture spécieuse. Probablement, mais cela tend à prouver que le film est loin de résoudre toutes les questions, réussissant à l'inverse à en faire surgir d'autres. L'impression malsaine de participer, même passivement, à une œuvre de propagande continue de surnager dans son appréciation de plus en plus mitigée.
PatrickBraganti
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le 28 janv. 2013

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le 29 janv. 2013

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