"Zero Theorem" est une anticipation à la fois typique et atypique. Au-delà du «...Watching you », la société peinte dans ce film fait fortement penser à "1984" d'Orwell. C'est peut-être moins évident, mais on pourrait penser aussi à "Holy Motors" dans l'anticipation très subtile proposée à travers un regard lumineux et vertigineux. La ressemblance avec "The Foutain" coule de source. Le crâne de Christoph Waltz est aussi chauve que celui d'Hugh Jackman, l'âme pleine est tout autant plongée dans l'immensité du vide. Enfin, on retrouve la folie et l'absurde de "Brazil". Beaucoup d'influence, d'inspiration ou de ressemblance possible à voir dans ce nouveau Terry Gilliam. Néanmoins, "Zero Theorem" est avant tout une plongée onirique unique.
Guidé par la ballade musicale et un visuel fascinant, on entre immédiatement dans une ambiance déroutante. Le décor fantasque et futuriste cadre d'entrée un univers captivant. Un flux d'images où on ressent l'imaginaire de Gilliam ressurgir et une fluorescence aussi rayonnante que dans "Spring Breakers". Le sanctuaire de Qohen est la résidence principale de cette scénographie sensée et sensationnelle. L'église marie la ténacité de l'antique avec la fluidité du monde moderne, matérialisée par les nouvelles technologie. Celles-ci prennent le pas sur le bâtiment religieux représentant la foie. La perte de l'espoir, des rêves et des ambitions, la faute au "progrès". La représentation par le spirituel est purement symbolique et donc pas pesante. Le rendu à l'image illustre avec beauté le propos caché derrière un aspect abstrait. En plus des yeux, les oreilles sont aussi gâtées. George Fenton signe une bande son extrêmement présente et plaisante, avec en prime une très jolie reprise de "Creep" de Radiohead par Karen Souza.
Christoph Waltz interprète avec brio, encore, un rôle de grand paumé. En utilisant "nous" et pas "je" il ne personnifie jamais sa parole. Un problème de personnalité figuré aussi par Joby (Davis Thewlis) qui esquinte volontairement son prénom. Qohen ne semble savoir qu'une chose sur lui même, comment il s'appelle. Agoraphobe et dans l'attente perpétuelle d'un coup de téléphone, Qohen Leth se cloître chez lui. Il s'enferme aussi dans son travail, à domicile donc. Il fuit les cabines exiguës de son entreprise, qui ne sont pas sans faire penser aux bureaux-tiroirs de "Brazil". En quittant son poste il emmène dans son refuge une lourde tâche. Cette étude du théorème zéro est l'équation qui démontre l'inanité du quotidien professionnel. Une formule à la solution vaine qui tire les traits d'une géométrie invariable, et sans profondeur, de la vie professionnelle. Qohen Leth s'adonne sans passion mais plein de fidélité à sa mission, si bien qu'il ne voit pas rien de ce qu'il l'entoure. Notamment la tension sexuelle présente à ses côtés. De façon physique avec le voisinage symbolique du sex-shop et de façon plus charnelle avec la compagnie de Bainsley.
Mélanie Thierry est d'une grande sensualité. Son accoutrement et sa vivacité incarne la folie ambiante de l'univers propre à "Zero Theorem". Qohen et Bainsley se rencontrent dans une soirée électrique, où lui est comme une baleine échouée sur la plage et elle comme une danseuse sur scène. Elle se meut et s'exprime avec une aisance et une habilité proche de la chorégraphie, Bainsley anime avec vitalité la vie vaine de Qohen. L'actrice française rompt la malédiction à l'importation de ses consœurs.
"Zero Theorem" est la confrontation d'un homme fondu dans la masse résignée, avec une jeune femme fougueuse et fringante. Ils se connectent et elle lui ouvre alors la porte des rêves. Voyage onirique fascinant dans sa mise en scène avec un propos très figuratif qui est plus fataliste qui n'y paraît.