Comment construire la métaphysique d'un personnage

Plus que des crimes commis dans les années 60 et 70 ou même de la traque inaboutie du serial killer, le Zodiac de David Fincher nous expose dans sa narration un problème théorique et esthétique majeur : comment construire un personnage sur lequel on ne peut poser de visage.
Ce problème de cinéma existe pratiquement depuis les débuts du cinéma, non pas en tant "qu'invention" des frères Lumière en 1895 mais en tant qu'art (rappelons que l'artialisation du cinéma s'est produite entre les années 1907 et 1920 notamment grâce aux théoriciens italiens et russes). Le cinéma s'est rapidement distingué comme l'art permettant d'élaborer une narration avec des personnages tout en se passant de l'incarnation humaine. Nous pouvons entrevoir les prémices de cette tendance dès 1909 dans le court-métrage anonyme La Journée d'Une Paire de Jambes où les personnages sont montrés non pas par leur faciès mais par leurs jambes. L'histoire se déroule alors entre des paires de jambes, lesquelles deviennent personnages par l'écriture cinématographique du mouvement (du montage en somme) qui transforme par le découpage le motif en figure incarnée. Une fois débarrassé de toute limitation anthropomorphe, le cinéma se déploie dans l'art d'animer des formes par le mouvement. En reprenant cette idée, de grands films suivront cette démarche et proposeront des figures en mouvement en guise de protagonistes. Citons le célèbre A Propos de Nice de Jean Vigo faisant de la ville le personnage principal ou dans une moindre mesure L'Homme à la Caméra de Dziga Vertov se servant du montage pour retranscrire la force laborieuse des ouvriers.ères et de la puissance des machines. Mais ici, nous parlons de deux documentaires s'éloignant d'une construction narrative de fiction.


En 1940, Alfred Hitchcock réalise Rebecca, dont le titre n'est rien d'autre que le nom du personnage qui hantera tout le film de sa présence sans apparaitre une seule fois ! (celui-ci étant mort bien avant le début du récit). Par des procédés filmiques, par l'atmosphère et par les discours des autres personnages, Rebecca n'est plus seulement la veuve de Maxim mais bien un spectre contaminant tout le film de sa présence.
Nous en revenons ainsi au Zodiac de Fincher : dans la réalité, le tueur n'a jamais été retrouvé non plus. Tout le problème du film consiste à trouver un visage pour ce Zodiac. Ce n'est plus enquête sur un meurtrier mais bien la quête d'un visage. Cette quête obsède peu à peu tous ceux qui s'y risquent : Paul, Dave puis Robert. Lorsqu'ils pensent avoir trouvé le coupable en la personne d'Arthur Leigh Allen sans succès malheureusement, leur désespoir traduit leur déception à n'avoir réussi à poser un visage sur ce Zodiac. Le Zodiac n'était jusqu'à ce suspect que quelques lettres, des morceaux de vêtements ensanglantés et des appels.


Fincher nous parlerait indirectement de l'acte de création et de la construction de personnage au sens large du terme : le personnage de film ou la figure médiatique, la mise en valeur du monstre parmi les hommes dans les médias. Nous autres spectateurices, sommes fasciné.e.s par cette figure contaminant tout l'espace filmique et médiatique (rappelons que l'affaire du Zodiac est bien réelle). Le film montre pas à pas la construction d'un personnage, la constitution de son squelette et renvoie à notre volonté (souvent absurde) de rationaliser ce spectre en y apposant un visage. Le Zodiac est une idée métaphysique de personnage, sans réalité matérielle et notre peur de l'inconnu pour pousserait à transformer des concepts en élément sensible, palpable pour mieux l'appréhender.


L'enquête policière se prête parfaitement au discours réflexif de la création d'un personnage car le personnage part d'abord d'une idée, mais grâce au cinéma, il peut RESTER cette idée. Le cinéma offre la possibilité de représenter le concept et la métaphysique.

LuffyTrancy
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le 2 août 2018

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La Guirlande

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