C’est un peu du Larry Clark réalisé par le club Dorothée, et pourtant…

À genoux les gars est une comédie particulièrement caustique même si elle sait rester légère qui traite, principalement, du viol, du harcèlement, du revenge-porn, des interdits religieux, de la drogue et du suicide…


Ok, on va détailler par quels moyens Antoine Desrosières a réussi à faire un bon film et à éviter la crucifixion.
Pour commencer, À genoux les gars conjugue deux genres que l’on n’aurait pas forcément vu se rencontrer à la base : la comédie de mœurs du XVIIIeme orienté libertin façon Crebillon fils ou certains Molière, et le film de banlieues genre Les Kaira ou Les lascars. Le tout dans une esthétique colorée de sitcom des années 80-90, comme un improbable épisode pilote d’un spin off sans filtre d’Hélène et les garçons. Pour le moins, on peut affirmer qu’il ne ressemble qu’à lui-même.


Deux sœurs, Souad Arsane et Inas Chanti découvrent donc autant les premiers émois de l’amour qu’elles construisent la forme que va prendre leur sexualité naissante (d’où l’interdiction pour les moins de 12 ans, même s’il n’y a rien de bien méchant). Comme on apprend par l’erreur, des sacrées conneries vont être commises que nos deux héroïnes vont tenter de réparer dans une sorte de descente aux enfers illustrée par de la musique yéyé.


L’intrigue, rocambolesque jusqu’au naïf par moments, et la réalisation, plutôt plate avec des transitions volontairement désuètes, doivent cependant être dépassées (c’est pas dur) pour trouver le cœur du style Desrosières : ses situations et ses dialogues.


Ses caractères sont facilement identifiables, on a le bellâtre un brin narcisse, son acolyte idiot comme un Sganarelle fringué chez Adidas, la fille qui s’affirme et sa sœur qui se cherche un peu plus, l’autorité parentale en fond, etc. Le cadre à peine posé que tout dégénère mais au lieu de tomber dans un glauque presque attendu, le son prend le relai de l’image et on voit la lumière. Les dialogues rapides, verbeux, dans un argot imagé impertinent et iconoclaste font tout passer, font prendre un recul salvateur. Si l’on se désole souvent du QI à un chiffre que semblent parfois afficher les personnages, la série de diatribes ancrées dans la réalité demeure un bel ouvrage : quatre mois de répétitions et de réécriture collective ont précédé le tournage, la plupart des acteurs sont crédités en coscénaristes d’ailleurs. Les trouvailles délirantes nichées dans ces textes truculents ont la fraîcheur brute d’une improvisation réussie.


Ainsi chaque sujet brûlant est pris sous un jour surprenant, avec une vision décomplexée communicative qui ne condamne rien, si ce n’est le mal-baisé, et affiche une foi infatigable dans la seconde chance. Si constat d’une triste réalité il y a, son angle d’attaque fait mouche et réussit à provoquer la réflexion plus que le rejet ou la révolte. Le flot continu pourra toutefois fatiguer et on regrette que certaines idées ou personnages semblent avoir été mis de côté (je pense à l’échange de deux minutes entre la mère de nos héroïnes et leur tante), mais il faut aussi savoir que d’une part le film est un condensé de plus de cinq heures de rush qui vont aussi donner naissance à une web série en 30 épisodes de 10 minutes, expliquant parfois les errements techniques où les passages un peu abrupts d’une scène à l’autre, et que d’autre part, le format final d’1h38 est un choix judicieux qui lui permet de garder un rythme fluide tout en évitant l’overdose.


A l’arrivée on se retrouve avec une comédie non identifiée, porteuse d’une proposition de cinéma unique sur des thèmes universels, qui préfère rire que pleurer d’une naissance cataclysmique des relations entre les deux sexes et qui préfère aller au fond d’un sujet épineux, quitte à garder quelques éraflures au passage, que de se contenter d’un placide constat. Une œuvre à découvrir.

Cinématogrill
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le 20 juin 2018

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