Quand The Tree Of Life magnifiait le cosmos, sublimé par une harmonie céleste hors norme, c’était pour invoquer les éléments universels qui font de notre monde un endroit majestueux, nous proposant une conception de la genèse de notre univers.


Si Badlands célébrait l’allégresse de la rencontre morbide et élégiaque de deux astres et si Les Moissons du Ciel affichait une photographie sublime des champs d’hommes mêlés aux divinités fantomatiques d’Amérique, A la merveille ne révèle rien.


Nous assistons impuissants à un non évènement, attendant désespéramment que le film se mue pour rentrer dans une dimension transcendantale, si authentique et si propre au Cinéma de Malick. Il n’en est rien. Retour sur une réalisation aux trajectoires discordantes, perdue dans les affres d’une mise en scène abandonnée, à la photographie narcissique et dont la soudaine « hyper productivité » du réalisateur (deux films en deux ans quand deux décennies séparaient Les Moissons du Ciel de La Ligne Rouge) nous pousse à penser –sûrement à tort, du moins, nous l’espérons- que ce dernier s’est précipité pour ne proposer qu’une pâle copie de son propre style.


Une mise en scène délaissée


A la Merveille revêt a priori certains atouts séduisants. La photographie, filmant les silhouettes se caressant, se cherchant, épousant ainsi les formes du réel -dont le réalisateur ne s’en cache pas- propose en bien des points une esthétique intéressante. Mais on s’en lasse très vite.


Le récit est bel et bien présent et lui aussi laisse entrevoir une trame généreuse, astucieusement mêlée à un parallèle de l’amour et de la foi. Mais c’est bien cela, la véritable faiblesse du film. En voulant traiter absolument le « grand sujet », Terrence Malick délaisse totalement la mise en scène au profit de concepts qu’il n’arrive pas à matérialiser.


On a l’impression de n’avoir rien vu et à la fois trop vu. Pendant presque deux heures de film, on observe des figures se courir après, tantôt s’amuser, tantôt se déchirer et on ne sait pas vraiment ce que les personnages font, où ils vont et quelles sont leurs vocations.


Il semblerait que le réalisateur, à vouloir définir l’absolu dans l’amour, se soit heurté à un sujet indéfinissable, enveloppant une symbolique trop imposante pour qu’elle puisse déservir le film.


Neil (Ben Affleck) est amoureux de Marina (Olga Kurylenko) et réciproquement, ou peut-être pas, ou peut-être plus. Ils se sont aimés. Mais quand ils emménagent chez Neil aux Etats-Unis, le charme a disparu et ils ne sont devenus que des silhouettes, des enveloppes vides, dont l’amour s’est cristallisé en prison.


Une thématique usée


On retrouve d’emblée la confrontation de la grâce face à la nature mais de façon totalement neutre. Les trajectoires que prennent les personnages ne sont pas tracées. Il n’y a aucune tension, aucune émotion pure car les sentiments semblent apprivoisés, domptés par une monotonie trop présente dans la réalisation : redondances des mouvements, de l’action et du récit. Le caractère contemplatif ne perce jamais véritablement et, alors qu’il transcendait le genre dans The Tree Of Life, il ne se métamorphose ni dans la relation des êtres humains, ni dans la mise en scène.


Tout un pan du Cinéma de Malick consiste à un mouvement de phases, à une séquence qui vient transcender la trame initiale et c’est d’ailleurs ce que nous attendons pendant toute la durée du récit. Alors, quand Jane (Rachel Mc Adams) fait son apparition, cette blonde flamboyante, chahutant la vie amoureuse de Neil, nous nous réveillons, espérant qu’elle est l’élément déclencheur, devenant l’apanage de la passation mystique dans une autre dimension.


Sentiment de lassitude, de déjà vu


« Non, niet, nada, nothing ! » pour reprendre toutes les langues parlées ; en somme, A la merveille revêt des aspects du mythe de Babel : un charabia perdu dans toutes les traductions possibles et faciles du mot amour.


Le réalisateur nous laisse entrevoir ses figures errer devant nous, n’en finissant plus de se déchirer, croyant nous subjuguer avec ses figures grandiloquentes de l’amour cyclique mais aussi biblique : le père Quintana doute de sa foi, de sa vocation. « Dieu nous aime-t-il ? Pourquoi lui ?Comment aider et aimer les autres si nous ne sommes pas proprement capables de nous aider, de nous aimer nous-mêmes ? » Ses détracteurs ne manqueront pas ici de souligner l’aspect religieux toujours plus présent dans le réel car si Malick est reconnu pour la spiritualité du sublime, il est aussi soupçonné de proposer des œuvres prosélytes sur le rapport de l’homme à Dieu et A la merveille pêche par excès de zèle, se remettant à une frontière trop exiguë entre l’amour et la foi.


Une lueur d’espoir surgit sur le fond du film. Elle s’appelle poésie. La symphonie orchestrée par les mélodies tantôt majestueuses, tantôt voluptueuses, écarte la réalisation de l’échec total, associée à une « jolie » photographie qui permet à plusieurs séquences de prendre leur envol.


Cependant la musicalité, combinée à la photographie, est pratiquement un des seuls pendants esthétiques du film et le foisonnement d’images capturées ne nous permet en aucun cas de dire que la réalisation soit réussie.


Seuls la majesté de quelques plans nous laissent songer que Terrence Malick n’a pas perdu de sa superbe : les lents travellings et plans séquences de Versailles au crépuscule, la vision imposante de la merveille du Mt St Michel –la véritable merveille où les deux amants de Verlaine, Neil et Marina, se sont aimés-, le traitement des nus resplendissant à la lumière zénithale, où les corps se mélangent ne faisant qu’un et rejoignant les pensées fugaces d’un désir désormais effacé.


Il est certain que Terrence Malick s’engage dans un nouveau virage, tantôt par les trajectoires étranges que prennent ses sujets, tantôt par la forme sinueuse et étrange du récit. Reste à savoir si c’est une erreur de parcours, une expérience ratée, ou le manifeste d’une réflexion dont la prose semble hasardeuse. Espérons que la prochaine signature soit de meilleure qualité.

Monsieur_Biche
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le 3 janv. 2016

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