"Les enchaînés" de l'amour rouillé !

Ironie provocatrice ou amertume déguisée en humour grinçant ?
Il y a un peu des deux de la part de Maurice Pialat nous invitant à trinquer "A nos amours". C'est du moins évident pour qui connaît l'univers de ce cinéaste vraiment à part. Lui dont chacun des films est justement une démonstration poignante et dérangeante de ce qu'il considère être le drame du genre humain : l'impossibilité d'aimer vraiment, totalement. Avec, comme conséquence, cette névrose qui s'appelle le mal de vivre. De ce point de vue, il collait délibérément à l'époque, le début des années 80, sur lesquelles il portait un regard douloureusement lucide.
L'Amour chez Pialat ? Un jeu de massacre sentimental. Cela avait déjà donné "Nous ne vieillirons pas ensemble", "Passe ton bac d'abord" ou encore "Loulou", des films oppressants parce que dénués de toute vision optimiste sur les rapports affectifs premiers, homme-femme, parents-enfants. Là où ce ne sont que chuchotements amoureux, déclarations enflammées et enlacement affectueux, chez Pialat, il faut s'attendre à des cris, des injures et parfois même des coups !
Chez Sautet, on s'égratigne de temps en temps. Chez Pialat, on se déchire sans arrêt.
Bienvenue chez "Les enchaînés" de l'amour rouillé !
Les personnages d'"A nos amours" n'échappent pas à la règle. S'ils trinquent au sens figuré, c'est pour mieux s'envoyer les verres à la figure et enchaîner avec les gifles. Ils forment une cellule familiale qui a littéralement volé en éclats... et qui d'ailleurs n'est plus qu'éclats de voix ! Le père et la mère n'ont plus qu'une chose en commun, le mépris réciproque avec au bout, la séparation. Le fils aîné se marie uniquement pour faire carrière.
Et il y a Suzanne, le personnage central. Une jeune fille de son époque, piégée entre la libération des moeurs et une nébuleuse appelée Grand Amour, auquel elle aspire tout en le refusant obstinément. Concrétement : elle couche avec Pierre, Paul, Jacques, qui ne lui sont rien ; et elle étouffe l'épanouissement sentimental que lui inspirent les qualités d'un garçon de son âge auquel, bien sûr, elle se refuse ! Comportement/dédoublement de plus en plus difficile à assumer...
Ses parents ne risquent pas de l'aider. Eux qui ne peuvent que constater l'échec de leur couple en ressassant intérieurement un dérisoire "si c'était à refaire". Des mots qui ne veulent rien dire pour Suzanne. Elle qui, avec ses 15 ans, se considère déjà comme une naufragée de la vie !
Suzanne, c'était alors Sandrine Bonnaire, totale et monumentale débutante. Une sorte de Lolita version 1983, au joli visage capable de traduire tour à tour la candeur et une certaine perversité. La caméra ne la quitte pas et elle fait preuve d'une spontanéité subjugante. Eclosion d'un grand talent, tel qu'on a pu le mesurer depuis.
Quant à Pialat, qui s'est investi au point de jouer lui-même, avec une présence très monolithique, le rôle du père, il allait sans dire que "si c'était à refaire", il aurait refait exactement le même film. Avec cette justesse et cette acidité de ton qui n'appartiennent qu'à lui.
"A nos amours" est une oeuvre qui parle du coeur avec les tripes ! Déclaration finale.

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le 30 juin 2017

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