En 1975, la croisette découvre, éberluée, ce film de sabre made in Taïwan. Présenté en compétition officiel au festival de Cannes, aux côtés d’œuvres comme Parfum de Femme de Dino Risi, Profession : Reporter d’Antonioni ou Alice n’est Plus ici de Scorsese (ce sera le Chronique des années de braise de l’algérien Mohammed Lakhdar Lamina qui décrochera la Palme), le film de King Hu fera entrer le genre wu xia pian dans les beaux salons et son auteur sera considéré comme l’un des maîtres absolus du cinéma de cape et d’épée asiatique.


Tiré d’un recueil de l’ouvrage Liaozhai Ziyi (Contes Extraordinaires du Pavillon du Loisir) de l’écrivain et poète Pu Songling, auteur du 17ème siècle qui vécut sous la Dynastie des Qing, Xia Nu (littéralement La Guerrière Chevaleresque) est chronologiquement le 6ème film de son réalisateur. Après avoir débuté sa carrière sous l’égide de Sir Run Run Shaw (créateur, avec ses frères, des fameux studios Shaw Brothers…), en tournant un opéra, The Story Of Sue San, un film relatant des événements de la guerre sino-japonaise, Sons of Good Earth, et le fameux Come Drink With Me (L’Hirondelle d’Or) en 1966, l’un des mètre-étalons du wu xia pian mandarin affilié Shaw Brothers, qui fait rentrer le genre dans l’ère de la respectabilité.


Après avoir été déconsidéré par le parangon de la Shaw, malgré l’immense succès de Come Drink With Me dans tout le sud-est asiatique, considéré comme un cinéaste trop perfectionniste et manquant de dynamisme, Hu s’exile à Taiwan où il réalise le splendide Dragon Gate Inn (L’Auberge du Dragon), dont Tsui Hark produira le remake en 1992, wu xia pian à gros budget dans lequel il collabore pour la première fois avec Shih Chun, futur interprète du jeune lettré, épris de l’héroïne dans A Touch Of Zen. Ce dernier deviendra l’acteur fétiche de Hu, on le retrouvera dans Raining in the Mountain et Legend Of The Mountain, deux autres monuments du maître.


S’ouvrant sur une longue scène d’intro décrivant les lieux, un vieux temple qui semble abandonné, où se dérouleront les événements de ce grand film épique à tiroir, caractéristique du style de son auteur. Alliant magnifiquement la virtuosité technique à un visuel très au-dessus de la moyenne, le choix de tourner en milieu naturel anoblissant l’œuvre, ce qui tranche radicalement avec le côté esthétique un peu cheap des productions Shaw Brothers, ce wu xia pian qui flirte avec le fantastique, sans jamais réellement entrer directement dans le genre (qu'il abordera frontalement quelques années plus tard avec Legend Of The Mountain) on fait référence à des fantômes, mais ces derniers ne sont qu’un artifice en trompe-l’œil, est une œuvre parfaitement maitrisée, jouant sur les notions d’espace dont l’occupation dans le champs, des protagonistes revêt une sensation de perfection parfaitement dosée, et d’étirement du temps, par le recours à des ellipses de toute beauté, élevant le film à une sorte de quintessence, qui en fait, encore aujourd’hui une œuvre quasi parfaite, pouvant aisément faire comparaison avec les grandes œuvres des maîtres nippons.


L'une des spécificités du cinéma chevaleresque de King Hu, c'est la présence d’une héroïne féminine, la fameuse Guerrière Chevaleresque du film, interprétée par la future égérie du réalisateur, en l’occurrence l’actrice taïwanaise Hsu Feng. Comme dans son Come Drink With Me, interprété par Cheng Pei-Pei, l'autre héroïne du cinéma mandarin, elle est une combattante émérite, particulièrement dans le maniement du sabre, et n’hésite pas à se confronter à des hordes d’hommes armés, les pourfendant sans difficulté. Autre particularité du film, et par extension du genre wu xia pian, le fait de voir les protagonistes s’envoler littéralement et faire des bonds spectaculaires lors de joutes, et donner ainsi à leurs mouvements une élégante légèreté dans des combats câblés qui prennent une dimension lyrique et spectaculaire.


On aura beaucoup vanté les incroyables qualités visuelles de cette œuvre monumentale, traversée de fulgurances, et portée par la maestria de son auteur, certains plans sont dignes des plus belles œuvres picturales, l’élégance des mouvements des protagonistes, le perfectionnisme de l’utilisation des espaces et la beauté des paysages naturels, et bien des années après sa première découverte, cette œuvre n’a non seulement nullement subi les ravages du temps, mais s’est même bonifiée, l’inscrivant définitivement au rang des chefs d’œuvres du cinéma chinois.

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le 4 janv. 2020

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