Le nouveau film de Jérôme Bonnell, « À trois on y va » semble être sur le papier tout ce qu’il y a de plus balisé en matière de comédie romantique française actuelle. Mais c’est très vite que l’on se rend compte que l’on assiste à tout autre chose qu’à l’accoutumée et que l’on tient ici un film duquel émane un véritable charme. Ici, pas de trentenaires parisiens, de blagues potaches, de sentimentalisme, juste des sentiments et du comique de situation. On pardonne vite au film ses aspects négatifs, comme certains dialogues non nécessaires, alors que certains silences sont souvent plus lourds de sens. Le postulat initial, bien que de facture « classique » au genre, se révèle assez atypique et prend rapidement une allure singulière et un rythme assez peu conventionnel.

Dés le premier plan le réalisateur nous projette dans ce triangle amoureux. Une porte s’ouvre, et l’on aperçoit Mélodie qui venait rendre visite à Charlotte avec qui elle entretient une relation depuis plusieurs mois, sauf que c’est Micha son compagnon qui ouvre la porte. Mélodie décontenancée, prétexte une visite surprise et est de suite invitée à rester manger par le jeune couple fraîchement installé. Mélodie entre et claque la porte derrière elle. Portes et fenêtres qui claquent, on est bien dans ce qui s’apparente à un vaudeville. Dés cette première scène le mensonge, moteur des situations, est mis en place. Micha tombe à son tour amoureux de Mélodie. Du coup le point de départ est relativement inconventionnel; les deux membres d’un couple qui s’aiment vont chacun aimer une troisième et même personne. Les deux du couple pensent être les seuls à être infidèles et seul la troisième personne à conscience de la difficulté de la situation.
Les protagonistes sont des personnes auxquelles on s’intéresse en général rarement dans le cinéma français. De jeunes adultes de 27 ans, récemment diplômés, en fonction depuis peu dans leur métier respectif. Vétérinaire pour lui, et avocate et chanteuses pour respectivement Charlotte et Mélodie. Le couple encore fragile, propriétaire à crédit, vient d’emménager dans leur maison de la banlieue lilloise.

Le choix de cette tranche d’âge n’est pas anodin. C’est l’âge des constructions sentimentales, et au-delà du vaudeville, c’est également de Marivaux dont il est question. Rendre les personnages plus âgés aurait apporté une certaine forme de gravité au film, car les responsabilités et enjeux ne sont plus les mêmes. La comédie naît des situations où le quiproquo, le mensonge et l’amalgame sont mis en scène. Passages obligés du genre mais la sincérité du propos de fond du film les emmène au-delà du simple marivaudage et des petits badinages sans conséquences. L’empathie généralisée des personnages face à leur situation crée quelque chose d’inattendu. Alors que celle-ci est en général source de conflits, elle prend ici une tournure paisible. La sérénité survient après les questionnements quant à la trahison et l’affreux sentiment de culpabilité qui les parcourt tous trois. Une forme de calme après les tempêtes sous les crânes.

À l’inverse du schéma de « La maman et la putain » d’Eustache, il ne va être question pour aucun des protagonistes de sacrifier un de ses deux amours et le triangle amoureux à géométrie variable va glisser de l’isocèle à l’équilatéral. Proche des corps qu’il filme, Jérôme Bonnell met en scène un véritable fantasme d’un amour humaniste. Où rien d’autre n’importe hormis le sentiment de bonheur que celui-ci procure. Et c’est cet Amour le sujet du film. Un amour affranchit des barrières sexuelles. Le réalisateur souhaitant une universalité de propos ne juge pas ses personnages et ne souhaite pas moraliser son récit ni à le rendre actuel en surfant sur des sujets de société. Jamais le sexe n’interfère dans cet amour. Il n’est pas fait mention d’homo-, hétéro-, ou bi-sexualité. La bulle qu’ils se sont créée se suffit à elle-même et il n’y a que le regard extérieur qui peut venir rappeler la singularité de leur relation, lors de la scène où un individu saoul traite Mélodie et Charlotte de « sales gouinasses » après les avoir vu s’embrasser. La violence de ce monde extérieur qui resurgit d’un seul coup, renforce le sentiment de candeur du trio.

De l’émoi jaillit parfois la gravité apportant ces changements de ton du récit et donnant la sensation de se laisser transporter par de petites vagues qui nous amènent lentement au très beau dénouement du film au bord de la mer. Pour rendre cette histoire possible le choix des comédiens est essentiel et le réalisateur a pu compter sur l’ambivalence de l’actrice Anaïs Demoustier à la fois fragile et profonde, victime de son mensonge. Face à elle, Félix Moati, incarne sobrement le plus romantique des trois protagonistes, un homme pour une fois. Mais la véritable découverte de ce film est Sophie Verbeeck, qui incarne de façon très subtile le personnage le plus insaisissable, source de nos questionnements, est elle entravée par sa mélancolie ou affranchie et sans entraves ? La passion est présente et jamais il nous est justifié la difficulté d’aimer. Une relation intense et solaire qu’il est important de vivre pleinement car on sait très bien qu’elle sera éphémère.

À travers son tableau gracile, Jérôme Bonnell nous touche et se pose une véritable question. Dans un monde fait de contradictions et d’engagements permanents, l’amour ne reste-t-il pas la seule conviction qui vaille ? D’une naïveté nécessaire à son sujet, il livre un traitement frontal, et l’imprègne d’humour et de sensualité. Le geste est suffisamment rare pour être souligné, surtout lorsque la manière y est.
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le 13 mars 2015

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