Si vous voulez, je peux tomber amoureuse de vous

Sophie Fillières est une des réalisatrices les plus originales et les plus novatrices du cinéma français, Aïe est son deuxième long-métrage dans lequel joue sa sœur cadette Hélène Fillières.
Sophie Fillières réalise des comédies un peu dingues, d’une dinguerie peu ordinaire. La question de Fillières est celle du rapport impossible à l’autre et donc du rapport au monde des humains marqué par le langage.
Pendant la discussion cinepsy sur le film qui a eu lieu le 9 décembre 2016, Hélène Molière parlait ainsi du film : Fillières utilise les ressorts classiques des comédies de Molière à Feydeau et Labiche (placard, quiproquo, tromperie, mensonges), mais bascule dans un autre registre. Alors que les autres comédies sont des structures dans lesquelles viennent s‘insérer un récit, des dialogues et des personnages et ou ça va quelque part, ça raconte quelque chose et ça suit un discours dans lequel l’auteur est en surplomb et omniscient, Fillières organise un récit qui se laisse mener par la parole. Elle dit : « Les situations venaient des dialogues et pas l’inverse, mais je ne savais pas avant de faire parler les personnages comment tournerait chaque scène et le film dans sa continuité »(1). Nous ne sommes pas dans une des variantes du jeu d’enfant qui parodie le monde des adultes: « On dirait que tu es l’amoureuse et que je suis la fiancée. », Fillières crée des situations comme Alice dans « Alice au pays des merveilles ». Pour Aïe, comme pour Alice, il n’y a qu’un seul côté au miroir, tandis que Robert et Claire veulent bien passer de l’autre côté à condition que l’on sache où on est : « Vous faite de l’humour ou vous êtes sérieux ? Vous êtes au premier ou au second degré ? ». Aïe ne joue pas, elle ne communique pas, elle parle mais elle est parlée. Pour elle, la parole n’est pas un discours. Elle prend la langue au pied des mots et « à la lettre ». Le discours de Aïe, si discours il y a, n’est pas le discours de l’autre. Ça fait vaciller les autres que nous sommes et ça engendre le doute. Claire : « Vous êtes une secte. Qu’est ce que vous me voulez ? Vous voulez compliquer les choses ? ». Aïe vient d’un autre espace-temps et Sophie Fillières lui emboîte le pas : « Après tous est-ce que c’est plus étonnant de sortir d’un ventre que de venir d’ailleurs ? »
Sarah Stern pendant la même discussion se demandait si Aïe était un véritable personnage : « Aïe a rapport avec la règle de la libre association, elle est inconvenante, elle dit ce qu’on ne dit pas, elle précipite. Existe-elle vraiment ? Est-elle réelle ? N’est-elle pas la métaphore du transfert ? Aïe dit : « Je peux décider de vous aimer, je peux faire de vous l’élu, Je peux vous faire découvrir l’amour ». C’est ce que dit un analyste dès le début de la cure. Aïe aime comme on aime dans le transfert. »


(1) Extrait de l’interview de Sophie Fillières, Bonus du Dvd de Aïe


critique de Pascal Laëthier, psychanalyste

Paul Napoli

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