La mort les petits oiseaux l'étoile qui brille

Felix Van Groeningen nous entraîne dans l'intimité d'un couple dont la fille unique a le cancer. Ce couple baigne dans une vie de bohême bercée par la musique bluegrass. Il faut bien sûr surmonter les quelques tics de réalisation : les voix qui chuchotent la plupart du temps, le jeu tout en kaléidoscope de mimiques des acteurs et la caméra, trop mobile au début (ça fait mal aux yeux au cinéma), les raccords douteux sur les mains du guitaristes.Il y a aussi la langue flamande, plus agréable dans ce film que dans un camping du sud-est de la France au mois d'août. Mais la violence du sujet et l'efficacité du montage nous font entrer dans cette histoire. On se retrouve dans ce film dans lequel le réalisateur jette joyeusement ses éléments narratifs qui s'entrelacent puis se percutent.

Le réalisateur a choisi une narration quadratique : c'est à dire aussi compliquée et inhabituelle que le mot qui la décrit. Le film est divisé en deux parties qui elles même comportent deux histoires en parallèle. Un ambitieux défi que relève le réalisateur à l'aide du prétexte musical qu'est le bluegrass : celui-ci sert tantôt de tampon entre des séquences qui manquent parfois de liant, ou tantôt accompagnent et explicitent les moments chargés d'émotion pour les héros (l'emménagement, le concert devant la grande salle, leur rencontre), les spectateurs (la seconde mort), et même les deux (la première mort, séquence centrale enchâssée au coeur du film). C'est une musique d'inspiration mélancolique, qui par ses instruments emploie un timbre vibrant : elle est très efficace pour suggérer des émotions, d'autant plus sans une salle de cinéma qu'il y a le gros haut-parleur derrière l'écran.
La narration chaotique est cependant stabilisée par une unité de lieu : la maison/l'hôpital/le salon de tatouage/le(s) endroit(s) où ils jouent de la musique. Elle est d'ailleurs habilement traitée : à aucun moment de patauds indice nous suggèrent le dénouement des séquences ; on garde jusqu'au bout l'envie de savoir la fin. Cette boussole est bien utile quand apparaissent des scènes longues et/ou embarrassantes.

Les acteurs jouent juste et les personnages sont consistants. Dans le cas de Veerle Baetens, c'est facile : la proximité de son physique et de son personnage avec ceux de Reese Witherspoon dans Cash. La présence hirsute et hébétée de Johan Heldenbergh remplace le dur Johnny Cash. Il arrive cependant à restituer fidélement l'attitude entre engouement et abattement de ca père face au drame prévu. La petite fille ne surjoue pas sa candeur enfantine et le portrait de cette famille est émouvant. Le sujet traité est dur tout comme le sont les images de la fille qui perd ses cheveux. Nette est l'opposition entre l'hôpital, lieu où l'action est statique et les parents sont assis sur des chaises et la petite allongée sur le lit et la maison, ou plutôt la cour de la maison où les personnages courent et se prennent dans les bras. La réalisation est simple, le cadrage n'a pas peur de couper les visages en haut où en bas, même si je regrette que le réalisateur privilégie le visage hollywoodien de Baetens au détriment du barbu Heldenbergh.

Bref, on suit ces personnages dans leurs pérégrinations, avec une opposition des réactions face au deuil. Le message du réalisateur est ambigu. Le seul personnage qui survit est celui qui est incapable de penser la mort ("dis papa ya quoi après la mort?" "quand on meurt, c'est fini. Ya pu rien") et l'au delà. Et pourtant, c'est celui qui semble accepter le moins le deuil en sombrant dans la folie. Et c'est d'ailleurs moins le deuil que la perte de l'amour de son mari qui pousse la femme à son geste final. Tandis que la femme tente d'établir un lien surnaturel avec la morte, l'homme coupe la racine. et pourtant ensemble, ils effacent les traces du passage de la petite en rénovant sa chambre. Reste le changement de nom, difficile à interprêter. Ca viendra sûrement à un prochain visionnage ou au réveil d'une nuit riche en rêve.

Il reste un bon film car contrairement à pas mal de ses homologues (la guerre est d*****ée), il ne force pas l'arrachage de larmes. Celles-ci coulent toutes seules sur les joues de mes voisines après un coup de bluegrass lancinant de trop. Et pour toutes les raisons que j'ai exposées ci-dessus
Fabrizio_Salina
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le 21 sept. 2013

Modifiée

le 23 sept. 2013

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Fabrizio_Salina

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