Oui, j' ai conçu pour elle une effroyable haine...
Molière a vu en Alceste le misanthrope. Entendez celui qui éprouve de l’hostilité, de la haine envers le genre humain. C'est tout l'objet d'Alceste à Bicyclette, qui s'évertue à déterminer qui du marginal ou du civilisé est le plus sage. Et c'est ainsi que cela commence:
"J'aime pas être raccordé, j'aime bien être indépendant."
Pas d'amitié, pas de fidélité, pas de loyauté. C'est ainsi que Serge considère le monde des acteurs, et c'est ce qui l'a poussé à s'exiler sur l'île de Ré suite à sa dépression. C'est alors qu'arrive disons de manière fortuite Gauthier Valence, célèbre héros d'un feuilleton télévisé et ami de Serge. Il lui propose de faire partie de la distribution du Misanthrope, qu'il compte mettre en scène. Seulement voilà, Serge a raccroché les planches et plaqué ce monde superficiel et cruel. Mais l'autre souci est ailleurs pour nos deux acteurs: qui pour jouer Alceste, le rôle le plus complexe jamais crée par Molière ?
Gauthier se heurte d'une au charme de l'Ile de Ré, de deux à l'animosité de son ami dont la vision de la pièce diverge complètement. L'un voit l'aspect matérialiste et commercial de l'oeuvre de Molière, l'autre s'épanche sur l'authenticité du propos, sur le réalisme et la morale du texte. La joute est engagée. Une confrontation entre le jeune loup ambitieux, vibrant de son succès, et l'ermite bourru, fatigué par la cruauté et le mensonge du genre humain.
Philippe le Guay ne peut pas ne pas avoir puisé son scénario de Tous les Matins de Monde, de Pascal Quignard, où Marin Marais quémandait l'aide de Monsieur de Sainte-Colombe en sa demeure reclue de toute civilisation. Ce parallèle ramené à la littérature classique est porteur d'un intérêt certain pour le spectateur, facilement happé par le duel que se livrent Serge et Gauthier au cours de leurs lectures.
Ce n'est pas tellement qu'on trouve des qualités extraordinaires à Alceste à Bicyclette - hormis la performance impeccable de Wilson et Luchini - c'est surtout qu'on lui cherche des défauts ! C'est donc tout naturellement que l'on se laisse porter par la joute verbale à laquelle se livrent les deux personnages principaux. Et ce dans une mise en abyme offrant toute l'astuce de deviner qui est le véritable misanthrope dans l'histoire, tandis que se dévoile la dualité entre matérialisme artistique et art pour l'art.
Qui plus est le choix des acteurs pour ce film était plus qu'évident. Luchini surtout. Qui d'autre que lui pour réciter les alexandrins du Misanthrope avec autant de perfection ? J'ai tout particulièrement apprécié son regard de dédain face à l'assemblée qui lui fait face, suivi de près par un point de vue interne orienté vers cette même assemblée.
"Oui, j' ai conçu pour elle une effroyable haine...", répète-t-il...