Alien Crystal Palace est mauvais, très mauvais : mal filmé, affreusement mal joué, mal écrit et raconté, court et ennuyeux à la fois. Une catastrophe cinématographique comme on a rarement l’occasion d’en voir. Une espèce de The Room, le « chef-d’œuvre » nanardesque de Tommy Wiseau, à la sauce française : tout aussi ridicule, tout aussi naïvement sûr de lui… tout aussi fascinant malgré nous.


Synopsis : Un savant fou, imprégné d’ésotérisme, cherche à réformer le couple idéal de la mythologie égyptienne, Isis et Osiris : un homme et une femme qui s’aimeront d’un amour parfait. Il tente, en vérité, de surpasser le modèle des sites de rencontre qui pullulent sur Internet. Mais il ne réussit pas à accomplir son prodige. Et il se condamne à faire disparaître les sujets-objets de ses expériences et à tuer les couples qu’il réunit jusqu’à ce qu’il ait trouvé l’idéal.


Il faut être à des lieues au-dessus des sphères de la raison, perché dans des confins inexplorés de la galaxie pour affronter Alien Crystal Palace comme il se doit. Arielle Dombasle, fidèle à elle-même, est en roue libre totale, tant en termes de réalisation que dans son jeu d’actrice. On ne cesse de se demander comment un tel résultat fut possible, comment un tel film put-il être produit, comment quiconque dans l’équipe du film put se dire « ouais, ça rend bien » au revisionnage de n’importe quel rush. D’abord, le malaise nous saisit : le film cherche-t-il à être drôle, au second degré ? Faut-il le prendre au sérieux ? Est-ce censé être divertissant et « fun », comme pourrait l’être un délire d’esthète aux tendances ésotériques ? Y a-t-il une sous-couche psychanalytique, comme dans un Jodorowsky ? Doit-on y voir du symbolisme dans le surréalisme ?


Mais nous sommes rapidement forcés d’abandonner, et de constater que le désastre se jouant devant nos yeux n’est qu’une sorte de délire mégalo aussi vain que nombriliste ; faussement subversif, faussement iconoclaste, faussement impertinent et provocateur. Comme si nous assistions à la projection d’un film de vacances tourné à l’arrache entre collègues, dont nous ne pourrions pas comprendre les agissements ni les discussions, parce qu’il eût fallu être avec eux à ce moment-là pour être dans le trip. Et nos pauvres visages consternés de regarder ces images défiler, avec la même indifférence que devant les photos de voyage de cette tante toute fière de partager ses expériences dépaysantes avec nous, pauvres gens lambda en manque d’exotisme, obligés de passer l’après-midi à mater son diaporama fait sur Windows Movie Maker, et qui rêvons secrètement de lui dire que nous n’en avons, en réalité, pas grand-chose à faire.


Puis vient la fascination. Un bien grand mot, sans doute. Jamais Alien Crystal Palace ne peut réellement, en lui-même, fasciner. C’est plutôt le projet dans son ensemble qui pose question, et qui, finalement, pousse à une certaine admiration béate. Un peu comme pour The Room. C’est si médiocre que c’en devient prodigieux. On en vient à lui trouver un côté attachant, gentiment naïf et sincère, généreux dans le mauvais goût et le too much. On en vient même à regarder le film avec bienveillance, à ne pas trop le juger sévèrement, parce qu’il va au bout de son délire, quel qu’il soit. Le genre de film dont on aime se souvenir, avec tendresse, en oubliant sciemment l’ennui mortel et les douleurs du visionnage en lui-même. Les souvenirs embellissent les choses, dit-on. Jamais adage ne fut plus vrai. Après quelques semaines, voire quelques mois, on s’en souvient comme d’un rêve étrange qu’on a du mal à resituer : de quoi ça parle, déjà ? Peu importe. On est heureux qu’il soit derrière nous, mais on ne regrette pas pour autant de l’avoir vécu. On ne s’y risquerait pas de nouveau, mais on le conseillerait presque à nos proches. Et on regrette amèrement que le film fût si mal distribué, parce quitte à s’y abîmer, autant le faire dans une salle de cinéma, avec d’autres personnes, sur un écran dont la taille et la capacité d’immersion sont à la mesure d’une telle œuvre.


Arielle Dombasle est-elle la nouvelle David Lynch ? La bombe est lâchée. Nourrie selon ses mots par Kubrick, Tarkovski, Buñuel ou encore Cronenberg, notre Arielle Dombasle nationale avait tout pour accoucher d’un pur film de cinéma. D’une certaine façon, Alien Crystal Palace est l’héritier de ces monstres sacrés. De quelle façon ? Le mystère est encore entier…
Voyez Alien Crystal Palace, non pas pour le film en lui-même, qui ne vaut pas grand-chose, mais pour ce qu’il vous en restera : le cinéma comme vous ne l’avez jamais vu – et sans doute comme vous nous souhaiterez, après ça, plus jamais le voir. L’illustration même qu’avec le septième art, tout est possible.


Vous l’aurez compris : Alien Crystal Palace est un OVNI objectivement mauvais, mais impossible à détester tant on a envie d’aimer et de promouvoir ce genre de propositions inhabituelles. Arielle Dombasle n’est certainement pas la plus grande réalisatrice de cinéma qui soit, mais au moins – et on ne lui enlèvera pas ce point –, elle fait ce qu’elle aime, comme elle aime, sans compromis, (très) maladroitement certes, mais avec une indubitable sincérité et une passion communicative. Et à défaut de marquer pour ses (non-)qualités cinématographiques, le film reste, d’une manière ou d’une autre, accompagné d’une inexplicable et douteuse affection.


PS : vous trouverez à l’intérieur du boîtier du DVD une carte postale sublimée d’une photographie d’Arielle Dombasle étendue sur un divan en tenue légère. De quoi épicer vos romances épistolaires d’une façon unique.


[Article à retrouver sur Le Mag du ciné]

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le 1 juin 2020

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Jules

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