ANA, MON AMOUR (14,8) (Calin Peter Netzer, ROU/ALL, 2017, 125min) :


Ténébreuse dissection psychanalytique de l'histoire d'amour Ana et Toma, deux jeunes étudiants de Bucarest. Deux aimants sensibles, fous amoureux dont la passion amoureuse va les rendre flous et mettre au grand jour de profondes blessures psychologique, dont l'amour malheureusement ne peut guérir. Le réalisateur Calin Peter Netzer découvert en 2013, par le biais de son premier film prometteur Mère et fils (récompensé par l'Ours d'or à Berlin) revient avec un mélodrame intime pour analyser la complexité des rapports amoureux. Cette nouvelle fiction prouve une fois de plus la vitalité et l'exigence du cinéma roumain. L'auteur utilise une mise en scène immersive, chirurgicale, au plus près des êtres et des corps qui tentent de se libérer de leurs différentes entraves. La première séquence nous plonge abruptement au milieu d'une discussion dans une chambre d'étudiant où à travers un échange sur Nietzsche, Ana et Toma avec maladresse tentent de se séduire alors que des bruits de plaisirs corporels proviennent de l'appartement mitoyen. Un volume sonore qui va gêner et oppresser Ana entraînant chez elle, une crise de panique. Le ton est donné. L'irrationnel et l'inconscient vont parcourir le film sous les pores de peaux. Cette œuvre psychanalytique interroge de l'intérieur la complexité de l'attachement à l'autre jusqu'au délitement d'une histoire dont les deux protagonistes s'aiment, en se demandant qui a besoin plus de l'autre ? Qui s'accroche le plus à l'autre et qui dévore l'autre dans le couple ? Et si aimer était donc la plus grande de nos folies ? Est il possible de construire correctement une relation quand chacun se nourrit de l'autre pour satisfaire ses propres besoins ? Ce récit réaliste aux nombreuses ellipses temporelles est composé de nombreux flashbacks et flashforwards à l'intérieur d'une narration éclatée entre rêves et réalités où les démons s'invitent pour faire vite valser l'harmonie vers un inexorable requiem amoureux. Par sa manière de rentrer dans des scènes déjà en cours et donc d'obliger le spectateur à remplir lui même la frustration de ne pas tout savoir, le réalisateur exprime ainsi avec force le constat lucide qu'on ne sait finalement jamais tout sur celui qui nous accompagne. Chacun y plonge donc ces propres fantasmes imaginaires et ses propres anxiétés ce qui fait bien souvent voler en éclat la communion des premiers moments d'une vie amoureuse. Cette chronologie puzzle, véritable mise à nu du couple et des névroses intimes s'appuie sur un montage pertinent et des dialogues très écrits donnant au passage également un éclairage sur les mentalités intellectuelles changeantes entre l'ancien paternaliste communiste et l'émergence d'un individualisme naissant, produit du Capital. Cette double lecture apporte au film une belle profondeur de champ thématique structurée autour des séances de thérapie de Toma auprès de son psychologue. Cette structure audacieuse assez complexe demande une implication du spectateur et parfois se répète de manière redondante quant à la finalité dramaturgique de l'intrigue. Pour incarner cette relation toxique sur plus de dix ans, l'auteur a trouvé un couple d'acteurs particulièrement convaincants et impliqués, en la personne de Diana Cavallioti et Mircea Postelnicu, d'une justesse dans le "je" assez remarquable. Cette Ana-chronique clinique désabusée, entre cris et chuchotements, aux trajectoires en forme de vases communicants, convoque l'empreinte des couples d'Ingmar Bergman, dont les scènes conjugales ont du nourrir la cinéphilie de Calin Peter Netzer. Venez confronter à travers le miroir, vos propres maux contradictoires et destructeurs, ainsi que votre part d'intime au cœur de ce tragique Ana, mon amour. Âpre. Romanesque. Intense.

seb2046
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le 21 juin 2017

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