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Comment expliquer le retentissant succès d’« Anatomie d'une chute », film aux multiples récompenses de l'année 2023 ?... Palme d'Or au festival de Cannes, nominations aux Oscar, six Cesar... la liste est exhaustive.

Professionnels et amateurs ne tarissent pas d'éloges sur le quatrième long métrage de Justine Triet, qui fait suite à "La bataille de Solferino", "Victoria" et "Sibyl".

Sobriété de l'intrigue, atmosphère à la fois ouatée et pesante, justesse des comédiens, simplicité de la mise en scène... De la qualité mais rien d’extraordinaire en apparence. Et pourtant... le film s'achève et nous sentons qu'il laissera son empreinte.


Rapidement, sans doute en raison de la sensation de confinement émanant du chalet de montagne ainsi que du petit nombre de protagonistes, nous sommes happés par la situation. C'est d'autant plus surprenant que le contexte n'a rien de banal et que l'on peinerait logiquement à s'identifier : un couple d'écrivains de nationalités différentes, un enfant déficient visuel, une langue anglaise omniprésente, un événement mortel... Peut-être est-ce justement l’une des clefs de la réussite de ce film : une situation peu ordinaire capable de résonner en chacun de nous. Situation filmée avec un réalisme absolu, sans ostentation.


L’action se déroule en deux lieux, le chalet et l’enceinte d’un tribunal. Cette dernière offre la possibilité aux argumentaires de se déployer, au travers de plaidoiries talentueusement déclamées ou d'interrogatoires savamment orchestrés. C'est éloquent et percutant. On comprend aussi bien les accusations portées par l'avocat général que les nuances ou les contradictions apportées par la Défense. On peut abonder dans le sens de l'énergique procureur et sitôt après dans celui de l’avocat intraitable qui lui fait face. Le duel est théâtral, intellectuellement stimulant, les deux comédiens Antoine Reinartz et Swann Arlaud (Cesar du meilleur second rôle) sont parfaits.


Evoquons également le personnage de Daniel. Ce petit garçon atteint de quasi cécité depuis un terrible accident se trouve bien malgré lui au centre des débats. Son regard fixe illustre aussi bien son handicap que la totale ébullition de son cerveau. Ravagé par la perte affreuse de son père mais déterminé à comprendre, il incarne superbement la raison subvertie par les émotions. Malgré sa douleur d'orphelin, il fait face au dilemme que la situation lui impose. Finalement il ne choisira pas, il décidera... Le jeune Milo Machado Graner réalise une très belle prestation. Après "En attendant Bojangles", il assume de nouveau avec talent le rôle exigeant d'un enfant torturé par les vicissitudes des adultes.


Nous pourrons aussi souligner l'atmosphère musicale du film, tantôt volontairement assourdissante, tantôt dissonante ou encore intelligemment absente, elle s'intègre à la vie des personnages et accentue le réalisme. Il en est de même des clichés photographiques, médiocres et pris sur le vif, qui retracent habilement la vie du couple. Vie que l'on imagine parsemée de bonheurs fugaces et d'accomplissement inachevés.


Mais le point d'orgue du film est sans nul doute la dispute du couple, dont l'enregistrement sonore diffusé dans le tribunal est finalement offert visuellement aux spectateurs, en flash-back. Un plan séquence d'une dizaine de minutes, dans lequel Sandra et Samuel rivalisent d'intensité. Dans le cadre banal d'un repas pris sur le pouce, une scène de ménage se déroule sous nos yeux. La tension monte. Se mêlent des reproches sous tendus par des frustrations inavouées, des objections que l'on croit imparables, des mots crus d’abord retenus puis allégrement déversés, dictés par la colère et le ressentiment. C'est fort, c'est dur, totalement maîtrisé par les deux comédiens qui habitent leur personnage.


Tous ces ingrédients, habilement assemblés, participent à la réussite du film. Mais s’il parvient à nous toucher autant c’est qu’il est sans doute et avant tout l'histoire d'une mort qui raconte une vie. Une vie qui s'apparente à un combat dans lequel les individus s’attirent et se repoussent avec passion et déraison. Une vie dont l’apparente modernité n’est en rien salvatrice. Une vie imparfaite, une vie fantasmée qui se révèle ordinaire, une survie.

« Anatomie d’une chute » est la représentation funeste d’un monde dans lequel les individualismes sont autant de freins à l’élaboration d’un projet commun, un monde dont la fuite en avant pourrait malencontreusement se solder par une chute fatale...




Jimbodo
8
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le 17 avr. 2024

Critique lue 6 fois

Jimbodo

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