Sur la scène théâtrale, les classiques sont toujours présents, repris, dépoussiérés et parfois malmenés. Michel Caputo décide en 1979 de reprendre Le Cid de Corneille dans une grande farce dont le cinéma français ne s’est toujours pas remis.


L’adaptation est très libre. Les grands évènements sont repris, dans une grande absurdité. Les décors sont modernes, on reconnaît Paris. Les costumes mélangent ceux de films historiques et d’autres trouvés dans des remises. Les hommes au pouvoir sont donc maintenant attifés d’uniformes militaires. Les Maures ont envahi la capitale espagnole, mais ne semblent guère dangereux. Leurs soirées sont même très chouettes. Rodrigue et Chimène s’aiment, dans le plaisir de la chair, mais leurs paternels se brouillent, et le premier fait croire qu’il a tué le papa de sa femme. Et puis après tout dérape, les derniers filets d’histoire s’emmêlent. La fin est d’ailleurs interminable, s’étirant de vides en vides.


L’une des marques de fabrique du Cid, ce sont ses vers. Qui sonnent et tranchent. Sans avoir vu la pièce, beaucoup sont connus car restés célèbres, tels que « va, je ne te hais point », « Rodrigue, as-tu du coeur ? », « Ô rage ! ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! », etc. Le film de Michel Caputo reprend ces vers les plus emblématiques, déclamées avec le plus grand des cabotinages, voulu. Mais il les intègre aussi à des dialogues du cru, bien crus, à la gouaille colorée. Ce n’est pas du Michel Audiard, loin de là. Quelques phrases sortent du lot, d’autres sont à noyer au plus vite. Jugez plutôt :


« Heureux ceux qui louchent car ils verront Dieu deux fois »
« Et moi, je vous emmerde à la petite cuillère. »
« Le soldat de Dieu ne fuit jamais. C’est le robinet qui fuit. »
« Il t’a fait sucer son narguilé ? »


Un moment, un éclair de lucidité : « Tu vois pas qu’on est grotesques non ? »


Dans son élan de liberté (bien mal contenu), le film se moque aussi de la religion et de l’armée. Les curés sont de grands fous, qui utilisent le croissant comme ostie. Les querelles politiques de l’œuvre originale deviennent des problèmes d’égo entre généraux, qui se soucient plus de leurs médailles que de bouter les Maures. Ce sont des enfants, quand le Roi d’Espagne est proche de la sénilité. Mais d’autres comédies françaises de la même époque s’en sont pris à l’armée et aux curetons aussi avec bien plus de succès, tels que Les Bidasses ou la Septième compagnie.


On imagine très bien les consignes données par Capulo à ses acteurs : « faites en plus, et surtout trop ». Michel Galabru, Bernadette Laffont, Daniel Gelin ou Bernard Haller ont déjà prouvé leur sens du jeu à d’autres reprises. Mais ici, tout semble permis, tant que cela ne soit pas dans la demi-mesure.


Vous avez déjà une petite idée de l’humour pratiquée à ce stade de la lecture. Si les répliques guignolesques ne vous suffisent pas, sachez qu’il est aussi question d’un mariage célébré par un curé qui postillonne son croissant sur les deux bienheureux, de casques militaires qui ne tiennent jamais sur les chefs ou de déclamations dans un super-marché. La parodie est parfois loin, mais le gag facile et forcé bien plus près.


Et puis ce titre, Arrête de ramer, t'attaques la falaise !, que je ne m’explique pas. Il ne me semble pas avoir entendu la réplique dans le film. Nanarland (le film est considéré comme l’un des plus grands nanars français) prétend que c’est pour parodier le titre français de Meatballs, Arrête de ramer, t’es sur le sable, mais le film est sorti 1 mois plus tard, et d’autres sources affirment que c’est le film de Caputo qui aurait inspiré celui d’Ivan Reitman. Dans tous les cas, il y a une belle faute d’orthographe au générique, c’est un peu la honte.


Parfois, je me dis que ce que j’ai vu n’était qu’une expérimentation, une relecture si décapante du Cid qu’elle n’est ni drôle, ni tragique, ni plus trop Cid en tout cas. On en voit parfois dans les grands théâtres. De l’audace il y a bien, dans ce film débridé, défroqué, débile. De la liberté, certainement. Mais le résultat est ce qu’il est, une comédie franchouillarde, qui tape sur deux-trois figures d’autorité, compte sur quelques bons mots et tente de nous faire croire à son humour avec un grand sourire niais et des acteurs hystériques. La falaise est bien attaquée à ce degré d’insistance.

SimplySmackkk
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le 25 févr. 2020

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