Après une arrivée très honorable de Warcraft sur le grand écran, c'est au tour d'Ubisoft de laisser un de ses produits phare tenter sa chance au cinéma. Assassin's Creed arrive donc, réalisé par Justin Kurzel, réalisateur de Macbeth en 2015, avec en tête d'affiche le même duo d'acteur : Marion Cotillard et Michael Fassbender.


Le film prend le risque de s'inscrire dans la longue lignée des mauvaises adaptations de jeux vidéos au cinéma, mais je peux déjà affirmer que Kurzel mérite sa place aux côtés de Duncan Jones dans la catégorie « Bonne adaptation ».


C'est donc par là que je vais commencer : Assassin's Creed est une BONNE adaptation du jeu original. Le scénario est certes simple, car il suit dans les grandes lignes le déroulement du premier opus d'Assassin's Creed : Callum Lynch, descendant d'une lignée d'assassin et dont il fuit l'héritage (Desmond Miles), est capturé par Abstergo Industrie et les Templiers afin d'exploiter ses souvenirs ADN pour retrouver la Pomme d'Eden. Le projet est mené par un haut membre des Templiers, Alan Rikkin (Warren Vidic), et est placé sous la tutelle du docteur Sophia Rikkin (Lucy Stillman) qui s'assure de la coopération de Callum, la récupération de données par l'Animus étant plus aisée lorsque le sujet se synchronise de son plein gré. Les personnages ne sont pas pour autant un copier/coller : Callum fuit les assassins par haine, jugeant leur credo responsable de la mort de sa mère là où Desmond cherchait simplement à fuir et oublier son héritage. Alan Rikkin est un scientifique usé dont la gloire est en grande partie due aux découvertes de sa fille Sophia, là où Vidic était un savant de génie charismatique et cruel. Enfin Sophia est une jeune scientifique qui est avant tout dévouée à ses découvertes et la possibilité qu'elles offrent d'éradiquer la violence et la haine plutôt que de servir la cause des Templiers, là où Lucy était une agent double destinée à renverser les derniers membres des Assassins du XXIème siècle en se servant de Desmond. Rajoutez à ça le lien familiale entre Sophia et Alan, et on obtient des personnages très différents que l'on inscrit dans une structure simple déjà connue des joueurs. Ça fonctionne, et ça parle au public étranger à la licence comme aux joueurs.


Pour continuer sur la question de l'adaptation du jeu, l'Animus. Le fait d'avoir transformé l'habituelle table de projection des jeux en une installation à projection grandeur nature basée sur un immense bras robotique qui s'adapte aux mouvements du sujet est une bonne idée, et logique de surcroît. Il faut bien se dire qu'en terme de justification et de vraisemblance, le jeu vidéo est un médias qui peut se permettre d'enfreindre toute logique existante sans avoir à se justifier, ce qui n'est pas le cas du cinéma. Si l'on peut se contenter dans le jeu de justifier que Desmond acquière les capacités physiques d'Altaïr, d'Ezio et de Connor simplement en passant cent heures dans la réalité augmentée de l'Animus, cela passe beaucoup moins bien dans un film. L'Animus est un appareil servant à stoker les connaissances et les souvenirs des personnes du passé, mais aussi à ASSIMILER ce qu'ils ont appris et maîtrisé. Ainsi un simulateur qui permet au sujet de répéter les mouvements de son ancêtre en temps réel, le tout transmis par une puce directement reliée au cerveau (la petite référence à Matrix c'est cadeau) justifie parfaitement l'apprentissage rapide de Callum et des autres Assassins aux techniques maîtrisées par leurs ancêtres.


Cet argument vous permettra de bien comprendre le dernier point par rapport à l'adaptation du jeu qui a fait hurler pas mal de joueur : l'absence de la vision d'aigle. Elle est INJUSTIFIABLE dans un film. La vision d'aigle relève d'une mécanique de gameplay, qui ne peut s'accorder que dans le gameplay, et donc un jeu. Dans un film, cela passerait comme un élément totalement surréaliste qui s'assimilerait à un super pouvoir de héros de comics, et Assassin's Creed n'est absolument pas dans ce ton là.


Le seule petit bémols que l'on peut souligner est une précision qui n'est pas faite dans le film. Je m'adresse ici surtout aux néophytes de la licence : si vous vous êtes posé la question « Si les Templiers n'ont besoin que de l'ADN, pourquoi ne tuent-ils pas simplement les descendants ? » Le fait est que la technologie Animus est bien plus efficace lorsque le sujet est vivant et volontaire, car les souvenirs, quand ils sont vécus, sont beaucoup plus clairs et vivaces. C'est d'ailleurs pour ça qu'à partir de Black Flag, les Templiers sont devenus bien plus terrifiants, car ils ont fini par trouver le moyen de se contenter d'un corps pour exploiter les souvenirs ADN, ce qui n'est pas encore le cas dans le film.


Passons maintenant au film en lui même. De manière générale, la mise en scène est correcte, les combats et les scènes d'actions dynamiques et assez lisibles. On suit bien l'histoire, le jeu d'acteur est bon, on s'attache aux personnages, et on est plongé rapidement et efficacement dans les tenants et les aboutissants de l'intrigue. Un point important cependant : le corps du film repose sur l'alternance entre le présent et les passages dans l'Animus en 1492 durant l'âge d'or de l'Inquisition Espagnole, et de la reconquête du pays par le roi d'Espagne. Or le film présente à mon sens un certains déséquilibre. On s'imprègne parfaitement de l'ambiance carcérale et parfois glauque des locaux d'Abstergo dans le présent, aussi bien de l'aspect scientifique que prison. Ce n'est pas forcément le cas dans les parties se déroulant au XVème siècle. On nous présente bien l'Espagne en période de guerre durant la Reconquista, et la travail sur la photographie menée comme pour Macbeth par Adam Arkapaw donne un résultat beau et très fidèle de l'Espagne de l'époque. Le problème est que la plupart du temps, nous sommes plongés dans les scènes de poursuites et de combats, très découpées qui empêche de pouvoir profiter pleinement du travail de reconstitution de Grenade et de l'Espagne du XVème siècle. On doit donc se contenter des plans aériens des villes et du désert, qui sont certes beaux, mais ne permette pas de se plonger pleinement dans l'univers que l'on nous présente. Or c'était là un des grands charmes d'Assassin's Creed : nous plonger dans une époque que l'on ne connaît pas et en découvrir les fondements, les habitudes, les décors, les habitants, etc...


Ce déséquilibre est-il pour autant un problème ? Et bien pas forcément. C'est certes un manque qui pourra avoir un effet très déceptif pour les joueurs (j'en suis), mais cela s'inscrit dans la logique du film. En effet, au même titre que l'on ne s'attarde que très peu sur l'époque de l'Inquisition Espagnole, on ne s'attarde pas plus sur les personnages de ce temps. Exceptée la relation amoureuse d'Aguilar et de Maria que l'on souligne très brièvement au moment où ils vont être exécutés après leur Mentor Benedicto, on ne s'attache pas à eux. On ne connaît pas leur passé (excepté le fait que les parents d'Aguilar aient été tués par l'Inquisition), comment ils ont rejoint la Confrérie, leurs sentiments profonds vis à vis du credo (si ce n'est leur dévotion), ni ce que devient Aguilar après avoir remis la Pomme à Colomb. On sait juste qu'il a eu des descendants. L'intérêt des jeux tenait du fait que l'on découvrait à chaque fois un nouveau personnage ou bien une nouvelle période de la vie d'un personnage (Ezio et Altaïr), qu'on suivait l'évolution de leurs psychologies, leurs rencontres, bref leurs vies. En moins de deux heures de film, il est impossible de poser tant de choses, car les jeux duraient eux parfois plusieurs dizaines d'années, là ou le film ne se déroule que sur quelques jours. Mais ceci comme je l'ai dit, s'inscrit dans la logique du film : ce qu'on suit, ce à quoi Kurzel veut qu'on s'attache, c'est le présent. Le passé, les personnages de 1492 et ce qu'ils révèlent n'est qu'un prétexte, un outils de développement pour les personnages et la situation du présent. Le passé d'Aguilar permet à Callum de découvrir ce que sont les Templiers, et ce que sont vraiment les Assasins. Il l'amène à pardonner son père, à comprendre le meurtre de sa mère et à lui parler à elle lors du bug de l'Animus qui fait entrer Callum en contact avec tous ses ancêtres de la lignée d'Aguilar. De là découlera la révolte menée par Callum qui, devenu désormais un Assassin accompli, tuera Alan Rikkin et reprendra la Pomme, ce qui en parallèle aura pour effet de pousser définitivement Sophia vers les Templiers. L'impossibilité de se plonger pleinement dans le XVème est donc largement compensée par le fait que l'on nous donne quelque chose auquel nous attacher. Ce manque s'adapte et sert parfaitement le film qui se porte avant tout sur le temps présent. On notera la petite incohérence lors du bug de l'Animus, où Sophia voit parmi les ancêtres de Callum un de ses propres ancêtres. Je pense qu'il s'agit peut être d'un effet d'annonce pour la suite, mais cela n'en reste pas moins incohérent. Les informations que collecte l'Animus sont certes visibles par tous, mais elles restent liées à la personnes connectée dans l'Animus. A moins que Callum et Sophia aient un ancêtre commun, il est impossible que Sophia puisse voir ses ancêtres lors des projections de l'Animus si elle n'y est pas elle même connectée.


Je finirais donc ainsi : Assassin's Creed est un bon film, aussi bien en tant que tel qu'en tant qu'adaptation d'un jeu. Je ne sais pas si les adaptations de jeux vidéos au cinéma sont destinées à amener un jour des chefs-d’œuvre cinématographiques, mais je pense pouvoir affirmer qu'Assassin's Creed, tout comme Warcraft (et peut être même plus que Warcraft sur certains points) est ce que doit être une adaptation de jeu : un bon équilibre entre le médias original et le film, qui parle et touche autant les fans les plus assidus d'une licence que le publique qui n'en a jamais entendu parler. Je pense qu'on peut dire que 2016 aura été l'année où on nous a enfin offert pour la première fois de bonnes adaptions de jeux vidéos au cinéma, et que le résultat est très encourageant pour la suite, vu le nombre de licences qui sont en train d'être lancées en production. Nous avons là une preuve que les jeux vidéos peuvent offrir matière à de bons films, et je recommande celui-ci sans hésiter.

Dioclès_D
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2016

Créée

le 2 janv. 2017

Critique lue 627 fois

3 j'aime

4 commentaires

Dioclès_D

Écrit par

Critique lue 627 fois

3
4

D'autres avis sur Assassin's Creed

Assassin's Creed
papagubida
4

Le crado des assassins

J'attendais ce film avec un succulent mélange de hâte et d'appréhension. Surtout de l'appréhension, en réalité. Et pourtant, on ne peut pas dire que je sois un grand fan de la franchise.. Pour que...

le 20 déc. 2016

56 j'aime

7

Assassin's Creed
mazthemaz
4

La légende de la boule de pétanque

Depuis des temps immémoriaux, le méchant ordre des Templiers et la gentille secte des Assassins (Notez l'inversion des codes de valeurs traditionnels => quelle audace scénaristique !) se livrent...

le 21 mars 2017

48 j'aime

7

Assassin's Creed
CrèmeFuckingBrûlée
6

Eden Apple vs Rotten Tomatoes

Parlons des blockbusters cette année. Bien entendu, les films de super-héros dominent entièrement le marché de leurs capes acidulées, allant du film d'auteur sous-estimé à la purge honteuse que l'on...

le 21 déc. 2016

48 j'aime

Du même critique

Assassin's Creed
Dioclès_D
7

Reçu avec mention.

Après une arrivée très honorable de Warcraft sur le grand écran, c'est au tour d'Ubisoft de laisser un de ses produits phare tenter sa chance au cinéma. Assassin's Creed arrive donc, réalisé par...

le 2 janv. 2017

3 j'aime

4

Jujutsu Kaisen
Dioclès_D
7

Finalement une bonne surprise.

Arrivé au bout des 139 chapitres publiés à ce jour, je reconnais que Jujutsu Kaisen est un bon manga. Si je trouvais au début que l'histoire allait très vite, je me rends compte finalement que ce...

le 26 févr. 2021

1 j'aime